Partager ce contenu
Veille Secteur

Analyse du pollen dans les ruches : disette confirmée dès juillet

Le miel de colza constitue au printemps la première miellée des régions du Grand Est. Néanmoins, après sa floraison, les butineuses doivent trouver d’autres plantes relais pour nourrir la ruche et constituer des réserves. Quelles espèces butinent-elles ? Disposent-elles de pollen et de nectar en quantité ? C’est ce que recherche le projet ApiBet.

Quelles sont les plantes visitées pendant la période de butinage dans les milieux
cultivés ? Comment optimiser l’alimentation des pollinisateurs ? Pour répondre en partie à ces questions, Phyteis et l’AIBS, Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre ont financé l’étude ApiBet en 2021 et 2022 pour analyser le pollen et le miel recueillis dans des ruches installées en zone betteravière. Cette expérimentation succède au dispositif AgrApi. Elle se poursuit en 2023 sans l’AIBS mais avec les autres protagonistes techniques et Phyteis.

Suivi régulier de la vie de six ruches

L’Institut technique de la betterave (ITB) et le réseau Symbiose animé par Sylvain Duthoit de la Chambre d’Agriculture sont les partenaires techniques de ce projet. Une parcelle de la ferme de Jean-Marie Delanery située non loin de la commune de Tilloy-et-Bellay a accueilli six ruches appartenant à Jean-François Maréchal. L’agriculteur et l’apiculteur ont l’habitude de travailler ensemble. Jean-Marie Delanery a semé 1 ha de bandes de phacélie en 2020, un couvert végétal aux fleurs violettes riches en pollen.

Au-delà de la surveillance de la bonne santé du rucher, tout l’enjeu est de savoir ce que collectent les butineuses et en quelle quantité, notamment l’été. Si dans le cadre du projet ApiLuz, la luzerne fournit une ressource suffisante en nectar à cette période, la question se pose pour le pollen car la forme de la fleur de luzerne empêche la récolte par les abeilles.

Des colonies en bonne santé

Premier constat, les colonies témoignent de performances normales en 2021 ainsi qu’en 2022 malgré des conditions climatiques difficiles marquées par un gel printanier dans les deux cas, une période de grêle en juin 2022. Elle a été suivie par de fortes chaleurs et une sècheresse estivale. « Les balances connectées ont parlé, ajoute Ronan Vigouroux, responsable environnement Phyteis. Aucune des six ruches n’a décroché, nous n’avons pas observé de dépérissement.  »

En 2022, trois prélèvements de miel ont été effectués pendant les récoltes : les 10 mai, 18 juillet et 6 septembre. Ils ont été complétés par ceux de pollens, soit sept interventions réalisées de mars à septembre.

Abondance de pollen diversifiés en avril et mai

Que révèlent les analyses palynologiques effectuées par le laboratoire de France Miel ? Au printemps, les pollens dominants sont principalement issus des colzas avec des ratios évoluant au rythme des périodes de floraison et du climat. 80 % pour le colza en avril 2021, le pissenlit, la viorne et fruitiers se répartissant les 20 % restants. En mai, le pollen d’érable et de réséda représentaient 60 % de la ressource. En 2022, le taux de pollen du colza atteint un pic en mai fournissant la moitié de la ressource en complément des fruitiers et pissenlits. La plante a accusé un gel, conduisant à une floraison en deux temps. Dès la mi-juin, sans surprise, les grains de pollen issus de la phacélie et du pavot dominent, ces cultures étant installées tout près du rucher. « L’épisode de grêle de juin a fait fleurir le pavot en deux périodes, offrant une nourriture plus étalée dans le temps aux butineuses », explique Jean-Marie Delanery. La phacélie est ensuite analysée dans tous les prélèvements d’été avec une diminution progressive.

Disette pour les abeilles dès la mi-juillet

En été, une importante diversité de pollens collectés sur les plantes herbacées ou semi-herbacées est retrouvée dans les échantillons. « Ces plantes sont plutôt celles des bords de champs mais aussi des adventices qui se développent dans les champs de betteraves », complète Ronan Vigouroux. Cela signifie qu’en fin de saison, faute de fleurs mellifères et nectarifères, les butineuses recherchent d’autres ressources dont le pollen est moins qualitatif. Il s’agit de la mercuriale, du chénopode et de la renouée des oiseaux. « Le champ de betteraves est un milieu vivant au mois d’août, ajoute Ronan Vigouroux, les plantes apportent de la fraicheur pour les insectes. »

Cette évolution progressive de la flore au fil de la saison se traduit aussi par une baisse des quantités de pollen ramenées à la ruche. En avril, les abeilles collectent 42 g/heure, en septembre, ce taux descend à 0,8 g/heure. Le quota est de 20 g/h pour pouvoir nourrir correctement le rucher et assurer la croissance des larves.
« En réservant 0,5 % aux bandes mellifères, mono espèces comme la phacélie ou multi-espèces, la couverture des besoins des abeilles est assurée et on les détournera des champs cultivés. De plus ces plantes couvrent le sol, le protégeant des pics de canicule et offrant un abri à la faune », conclut Ronan Vigouroux.

IMG_20210501_164306

Le colza fournit d’avril à mai du pollen et du nectar en abondance pour les abeilles. Le pollen est source de protéines notamment pour la croissance des larves. Le nectar apporte de l’énergie et sert à la fabrication du miel.

Ronan VigourouxUIPP

« De la fin juillet à début août, les cultures sont récoltées et la floraison des haies est terminé. Quant à la luzerne elle ne fournit que du nectar. Le champ de betteraves devient paradoxalement un milieu favorable aux pollinisateurs apportant de la fraicheur et de la ressource en pollen avec les adventices », partage Ronan Vigouroux, responsable environnement chez Phyteis.

rpt

Le réseau Symbiose animé par Sylvain Duthoit de la Chambre d’Agriculture (à droite) est partenaire
techniques d’AgrApi. L’expérimentation se déroule sur l’exploitation agricole de Jean-Marie Delanery
située non loin de la commune de Tilloy-et-Bellay.

L’avis de Jean-François Maréchal, apiculteur à Tilloy-en-Bellay

« La situation des ruches dans les zones de grandes cultures est très tendue et peut vite dégénérer lorsqu’une succession d’accidents climatiques s’enchaine comme ce fut le cas en 2022. Il ne faut pas de grandes surfaces mellifères pour garder des abeilles en forme, seules des bandes, avec des floraisons étalées sur les périodes de disettes permettent d’obtenir des bonnes récoltes. Avec ce type d’aménagements, nous pouvons aller jusqu’à 100 kg de miel par ruche. Les dates de disettes sont quant à elles tributaires des conditions climatiques. »