Protection intégrée des cultures et approche combinatoire, même dynamique positive
Comment caractériser la protection intégrée des cultures en 2024 ? Quel est son lien avec l’approche combinatoire que soutiennent les adhérents de Phyteis ? Le point avec André Fougeroux, président de Végéphyl, membre de l’Académie d’agriculture et avec Ronan Vigouroux, responsable environnement chez Phyteis.
Le concept (1) de la Protection intégrée des cultures (PIC) remonte à 1952 ! Reconnue d’un point de vue réglementaire (directive 2009/128/CE), cette méthode reste plus que jamais d’actualité ! Sa définition adopte même un format pour les réseaux sociaux ! Aussi, sur X, le post qui la caractérise pourrait indiquer : « Combiner des méthodes pertinentes pour maintenir les organismes nuisibles sous les niveaux d’impact économique. S’appuyer sur la prophylaxie, les méthodes culturales, les auxiliaires, évaluer la nuisibilité des bioagresseurs. Enfin, intervenir avec des méthodes alternatives, le cas échéant, traiter ! »
Depuis toujours, l’arboriculture est le chef de file de la PIC. Elle montre la voie aux autres filières à partir des années 1970. Toutefois, les grandes cultures s’identifient plutôt dans le principe de production intégrée, mentionnée dès 1976. Très proche, fondée sur un objectif de rendement, cette notion mise davantage sur l’agronomie (rotation, choix variétaux, fertilisation…) pour diminuer l’emploi de produits phytosanitaires. Dans les deux cas, si la méthode générale reste la même, les moyens évoluent en permanence. « Aujourd’hui, la notion de risque est acquise. Pas un agriculteur n’intervient sans observer ses parcelles de visu, explique André Fougeroux, président de Végéphyl. Par ailleurs, aucune solution ne résout, à elle-seule, durablement, un problème phytosanitaire. C’est la seule certitude que nous avons en 8000 ans de protection des cultures. »
André Fougeroux, président de Végéphyl et membre de l’Académie de l’Agriculture
« Dans les années 1960, de graves difficultés écologiques, économiques et toxicologiques remettent en cause les calendriers de traitement. Alors, la possibilité de pratiquer la lutte intégrée s’envisage. Ensuite, elle devient la protection intégrée des cultures. »
L’approche combinatoire renforce la boîte à outils de la PIC
Également, l’approche combinatoire de la protection des cultures s’inscrit-elle dans cette dynamique. Quatre moyens à associer la caractérisent : les biosolutions, l’agronomie digitale, les biotechnologies et la phytopharmacie. Comme pour la PIC, les produits phytopharmaceutiques ne s’utilisent qu’en dernier recours. « Cette approche répond aux multiples défis que doit relever l’agriculture française, rappelle Ronan Vigouroux, responsable environnement Phyteis. Il distingue le changement climatique, l’émergence de bioagresseurs, notamment en lien avec les échanges commerciaux, les développements de souches résistantes.
De plus, les moyens de production différents selon les pays exacerbent la concurrence, laquelle fragilise les filières françaises.
« Ces quatre méthodes renforcent la boite à outils des producteurs, ajoute-t-il. Par conséquent, elles ouvrent encore plus le champ des possibles de la protection intégrée des cultures. »
Associer les technologies digitales et génétiques aux biosolutions
Par exemple, l’agronomie digitale aide à mettre en alerte ou à confirmer les observations. En relai, le déploiement des biosolutions notamment avec le biocontrôle contribue à réduire la pression des maladies et des insectes. Dès lors, cela diminue l’emploi de la phytopharmacie.
Des solutions alternatives peuvent être des méthodes physiques tels que les filets anti-insectes, les méthodes mécaniques de désherbage. Quant à la résistance génétique variétale, elle fait de plus en plus sens associée au biocontrôle et à la prophylaxie. Récemment inscrites au catalogue européen, des tomates tolérantes au virus ToBRFV bloqueraient les contaminations sous serre avec la prophylaxie. De même, le développement des variétés de blé résistantes à la cécidomyie orange évite une intervention insecticide à l’épiaison. Enfin, en 2024, toutes les variétés d’orge de brasserie résistent à la jaunisse nanisante (JNO) transmise par les pucerons.
Preuve de l’efficacité du levier génétique, Terres Inovia élargit sa fiche action CEPP(2) sur la tolérance des variétés de colza vis-à-vis des bioagresseurs. Initialement, la fiche ciblait le puceron vecteur de TuYV. Depuis janvier 2024, elle caractérise le comportement de 174 hybrides de colza vis-à-vis des insectes d’automne. Le nombre d’altises dans les tiges figure parmi les critères évalués. Jusqu’à 2 points d’Indice de fréquence de traitement (IFT) sur 6 peuvent être économisés en choisissant bien sa variété.
Microbiome et médiateurs chimiques, les attentes sont fortes
Quelles seraient les autres solutions pour aller encore plus loin dans la protection intégrée des cultures et l’approche combinatoire ? André Fougeroux considère que le microbiote des feuilles, le microbiome associé aux ravageurs et celui du sol sont prometteurs. Ils perturbent les pathogènes et les ravageurs. « Mais, nous ne sommes qu’au début des travaux de recherche », relève-t-il.
Dans ce cadre, le séquençage génétique contribue à ces recherches. « Cette biotechnologie aide à mieux connaître le fonctionnement des bioagresseurs et les synergies qui se créent avec ces micro-organismes bénéfiques », complète Ronan Vigouroux.
Côté insectes, les méthodes insectifuges se révèlent prometteuses. « L’idée est de perturber leur comportement en utilisant des médiateurs chimiques. Il s’agit des kairomones, phéromones, des composés organiques volatils, odeurs… », illustre-t-il.
IA et robots, des aides pour la PIC
Par ailleurs, les data affinent la prédiction des risques et évaluent l’impact des pratiques. André Fougeroux estime qu’une prochaine étape pourrait concerner la création de plateformes digitales régionalisées afin de partager des observations. Le principe se rapproche de celui du modèle de Waze pour l’aide à la conduite et à la navigation.
Les outils numériques sont très utiles, « s’ils ne créent pas des stress comme c’est le cas en élevage, avertit-il. Premiers à avoir utilisé les capteurs, notamment pour surveiller leur troupeau, des éleveurs avouent être stressés à chaque alerte. » Enfin, les robots soulagent l’homme sur des tâches répétitives. Ils compensent pour partie le manque de main-d’œuvre.
« L’avenir réside bien dans l’association de toutes les techniques anciennes aux innovations, conclut Ronan Vigouroux. Ne perdons pas de vue l’objectif ! Assurer une production agricole qui réponde aux exigences de qualité, de coût et de sécurité. Dans ce cadre, les pratiques et moyens mobilisés limitent au maximum les impacts sur l’environnement. »
Définition de la PIC, l’originale !
La FAO et l’Organisation Internationale de Lutte Biologique (OILB) élaborent la première définition de la lutte intégrée. Elle remonte au début des années 1950. Il s’agit de la « conception de la protection des cultures dont l’application fait intervenir un ensemble de méthodes satisfaisant les exigences à la fois écologiques, économiques et toxicologiques en réservant la priorité à la mise en œuvre délibérée des éléments naturels de limitation et en respectant les seuils de tolérance ». Ensuite, elle prend le terme de protection intégrée des cultures. Le premier groupe de travail s’installe en 1959.
En outre, l’article 3 de la directive 2009/128/CE décrit la protection intégrée.
(1) Source : MichelbacherA.E. & O.G. Bacon. 1952. Walnut insect and spider mite control in Northern California. J. Econ. Entomol
(2) CEPP : Certificats d’économies de produits phytopharmaceutiques