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Seigle

L’ergot du seigle

Le seigle est la céréale la plus sensible à la maladie de l’ergot du seigle ; ce qui explique notamment l’appellation historique du champignon. L’ergot du seigle peut entraîner de graves intoxications alimentaires (ergotisme).

Au Moyen Âge, l’ergotisme connu sous le nom de « feu de Saint Antoine », ou “mal des ardents”, est à l’origine de nombreuses épidémies. Sa maîtrise est donc un enjeu sanitaire essentiel.

L’ergot du seigle est causé par le champignon Claviceps purpurea, qui forme des sclérotes noirs et durs remplaçant les grains et renfermant des alcaloïdes toxiques.

Il peut parasiter de nombreuses espèces de céréales dont la famille des Pooidés (blé, orge, avoine, seigle) et certaines graminées sauvages. Seuls le maïs et le sorgho ne sont pas concernés.

Pour limiter les risques sanitaires et économiques, il convient de combiner des pratiques culturales adaptées, une protection phytosanitaire ciblée et un nettoyage rigoureux des récoltes.

Le cycle biologique de l’ergot du seigle

Deux facteurs clés favorisent l’essor de l’ergot : la capacité des sclérotes à survivre dans les résidus culturaux et la synchronisation de la floraison avec des conditions climatiques humides.

Ces sclérotes, formés au terme du cycle précédant, tombent au sol et peuvent rester viables plusieurs années, même en présence de froid hivernal ou de fluctuations hydriques.

Lorsque les températures printanières (10–15 °C) et un taux d’humidité suffisant sont réunis, les sclérotes germent à la surface du sol pour développer des stromas à partir desquels émergent des ascospores.

Transportées par le vent, ces ascospores colonisent rapidement les fleurs au stade de réceptivité. À leur arrivée, l’adhésion et la germination sur les stigmates initient la phase de sphacélie : une masse gélatineuse blanchâtre remplace alors l’ovaire floral, alimentée par le mycélium.

La longue floraison du seigle et l’ouverture de la fleur facilitent l’accès aux spores et donc la contamination.

Au fil de la déshydratation, cette sphacélie se transforme en sclérote dur, riche en alcaloïdes, refermant ainsi la reproduction sexuée du champignon.

Après l’apparition des premiers sclérotes, une phase asexuée de dispersion peut se mettre en place. Les conidies, produites à la surface des sphacélies humides, sont transportées par les insectes pollinisateurs et les éclaboussures de pluie vers des fleurs voisines, ce qui peut entraîner un second cycle d’infection au sein de la même parcelle.

Cette dynamique secondaire est particulièrement marquée lors de printemps pluvieux et de semis tardifs, qui prolongent la floraison et créent une humidité persistante.

La nuisibilité de l’ergot du seigle

Les symptômes de l’ergot du seigle peuvent être observés sur plusieurs niveaux :

  • Sclérote et sphacélie : à l’état précoce, les grains infectés se présentent sous la forme d’une masse blanchâtre et gélatineuse (« sphacélie ») avant de durcir et de noircir pour former le sclérote. Ces structures, souvent allongées et étroites, sont facilement reconnaissables à leur couleur noir violacé et à leur consistance dure.
  • Apparence des épis : les épis atteints montrent des grains anormalement colorés et déformés.À forte pression d’inoculum, jusqu’à 30 % des grains peuvent être remplacés par des sclérotes, donnant aux épis un aspect partiellement « piqueté » ou entièrement « erte ». Des fissurations de la glume peuvent également apparaître.
  • Dégâts sur la plante : bien que l’impact direct sur les tiges et les feuilles soit limité, la présence de sclérotes peut perturber la maturation uniforme de l’épi et entraîner une baisse de la qualité de la récolte.

Les pertes de rendement directement causées par l’ergot sont généralement faibles, car seules quelques fleurs par épi sont infectées. Toutefois, les conséquences économiques et sanitaires peuvent être très importantes.

En effet, l’ergot du seigle peut contenir de fortes teneurs en alcaloïdes toxiques, qui sont à l’origine de l’ergotisme, une intoxication affectant le système nerveux, circulatoire et digestif.

Chez les animaux, l’ingestion de grains contaminés peut provoquer des troubles graves. Chez l’homme, l’ergot est historiquement responsable d’épidémies d’intoxications sévères, appelées jadis « mal des ardents ».

Il provoque des douleurs physiques, qui peuvent évoluer en gangrène des extrémités, mais aussi des convulsions et des hallucinations.

 

Claviceps purpurea, une infection fongique toxique

Au regard de ces risques, la teneur dans les céréales en ergot est strictement réglementée par le règlement européen 2023/915 : elle est abaissée à 0,2 g/kg depuis le 30 juin 2025.  Sur les produits transformés, ce même règlement prévoit également des teneurs maximales réglementaires pour les alcaloïdes de l’ergot.

Concernant les semences, c’est la directive européenne 66/402 qui fait foi. Elle tolère un maximum de 3 sclérotes ou fragments de sclérotes pour 500 g de semences certifiées. Dans les semences de base, elle tolère 1 sclérote ou fragment de sclérote.

Le tri mécanique ou optique reste une option, mais il est difficile, coûteux et rarement totalement efficace.

Les situations à risque

Certaines configurations culturales ou conditions climatiques favorisent fortement la présence de l’ergot. Les parcelles de seigle ou de triticale, en particulier celles dont la floraison est étalée, sont particulièrement exposées.

Les fleurs restant ouvertes plus longtemps deviennent ainsi plus vulnérables à la contamination. La proximité de prairies ou de haies contenant des graminées adventices (comme le vulpin ou le ray-grass) accentue encore ce risque, en favorisant la contamination croisée.

L’utilisation de semences contaminées par des sclérotes d’ergot est également un facteur de risque majeur. Il peut provoquer l’introduction du champignon dans des parcelles jusqu’alors indemnes. Les rotations courtes incluant fréquemment des graminées sont également défavorables.

À l’inverse, les sols travaillés en profondeur et les climats secs durant la floraison réduisent l’expression du champignon.

Stratégie de protection combinatoire contre l’ergot du seigle

Seule l’approche combinatoire de la protection des cultures apporte une réponse pour, à la fois, diminuer l’inoculum et bloquer la maladie en cours de cycle.

Prévention agronomique

La lutte contre l’ergot du seigle repose d’abord sur des pratiques culturales préventives visant à réduire la population de sclérotes dans le sol.

Une rotation longue et diversifiée, incluant des cultures non-hôtes comme le colza, le pois ou la luzerne sur au moins trois années consécutives, s’avère particulièrement efficace pour diminuer progressivement l’inoculum primaire.

Par ailleurs, anticiper la date de semis en privilégiant un ensemencement automnal permet de décaler la floraison hors des périodes humides printanières, et ainsi limiter l’épandage initial des ascospores.

Surveillance et diagnostic précoce

La surveillance régulière des parcelles, en particulier durant la floraison, est indispensable pour détecter précocement la sphacélie.

Deux inspections ciblées suffisent généralement pour estimer la pression infectieuse et déterminer le bon moment d’action : dès que 1 % des fleurs présentent des symptômes, il est recommandé d’intervenir afin d’endiguer la dispersion secondaire.

Le recours à des fongicides triazoles, appliqués entre le stade « épi 1 cm » et le début de la floraison, permet de réduire significativement la production d’ascospores sans compromettre la qualité du grain.

Traitement des semences et interventions biocides

En complément, le traitement des semences reste une mesure de base pour limiter l’inoculum primaire.

L’enrobage avec des produits à base de sulfate de cuivre ou de complexes phytoprotecteurs empêche la germination précoce des sclérotes contenus dans les semences contaminées. Cette étape est particulièrement importante dans les exploitations où des contaminations antérieures ont été identifiées.

Gestion post-récolte

Après la récolte, il est crucial d’éliminer tout sclérote résiduel. Un simple passage au tri optique ou gravimétrique permet de réduire la part d’ergots à moins de 0,02 % du poids total.

Ensuite, il est recommandé de stocker les grains dans un local frais (< 15 °C) et sec (humidité < 14 %) pour éviter toute germination.

Enfin, un dernier contrôle par HPLC (High-Performance Liquid Chromatography) sur quelques échantillons permet de vérifier que les niveaux d’alcaloïdes restent conformes aux normes.

Prospectives horizon 2030

Les approches de biocontrôle prennent une place croissante dans les stratégies intégrées.

L’application de micro-organismes antagonistes tels que Trichoderma harzianum ou Bacillus subtilis pendant la floraison permet de concurrencer le développement de Claviceps purpurea au niveau des fleurs.

Par ailleurs, des dispositifs expérimentaux de piégeage basés sur la diffusion de phéromones ou de collecteurs à spores montrent un potentiel prometteur pour réduire la charge infectieuse dans l’air.