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Parole d'expert

Quels sont les principaux enseignements de l’expertise Inrae Ifremer pesticides et biodiversité ?

L’expertise collective Inrae Ifremer établit une revue des études d’impact des pesticides sur la biodiversité et les écosystèmes, réalisées depuis l’année 2000.  Ronan Vigouroux, expert environnement Phyteis, revient sur les principaux enseignements dans une logique de progrès scientifique.

Contrairement à la première expertise collective de 2015, celle conduite pendant deux ans par une quarantaine de chercheurs de l’Inrae et l’Ifremer et présentée ce 5 mai, a élargi son périmètre à tous les produits phytopharmaceutiques, conventionnels et de biocontrôle, en agriculture et pour les espaces verts et jardin.

Ronan Vigouroux, expert environnement de Phyteis partage son analyse de cette expertise collective, « utile à la fois pour orienter la recherche mais aussi pour mieux accompagner les agriculteurs. »

Par rapport à l’expertise de 2005, la cartographie de l’expertise collective Inrae-Ifremer révèle des études de plus en plus précises. Quels sont les principaux compartiments naturels impactés ? Comment évoluent les niveaux de contaminations ?

Sans surprise, les contaminations ressortent principalement d’origine agricole. Les traces d’herbicides hydrophiles se retrouvent dans l’eau, celles d’insecticides hydrophobes dans le biote, les fongicides dans ces deux compartiments. Toutefois, les informations et la quantification s’avèrent inégales selon les milieux, très peu d’études ont été conduites en milieu marin. En Outre-mer, seul le chlordécone est suffisamment documenté. La comparaison de ces données aux valeurs toxicologiques de référence apparait difficile à effectuer.

À noter : les niveaux de contaminations par les produits phytopharmaceutiques ont tendance à diminuer par rapport à 2005, dont celles des substances des molécules les plus préoccupantes qui sont retirées du marché.

De plus, dans la cartographie de l’expertise collective de 2022, 75 % des molécules étudiées ne sont plus sur le marché.

Le besoin de connaissances sur les substances les plus récentes, sur les co-formulants et les effets sur d’autres matrices écologiques a été signalé. Qu’en est-il ?

Le rapport indique des lacunes « encore importantes » dans les connaissances et appelle à d’autres recherches en s’ouvrant à tous les impacts sur l’environnement, dont ceux sur le sol. Le corpus bibliographique est riche de 4000 références. Il couvre les années 2000 à 2020. Toutefois, 70 % des études ont moins de 10 ans, preuve du dynamisme que suscite ce domaine de recherche.

Côté substances récentes, les pyréthrinoïdes et les néonicotinoïdes enregistrent un grand nombre d’études en raison des enjeux politiques et évolutions réglementaires.

Des liens complexes entre impacts des produits phytosanitaires, biodiversité et fonctionnement des écosystèmes ont été mis en évidence. Sont-ils intégrés dans les études d’évaluation ?

Certains groupes biologiques comme les invertébrés terrestres et aquatiques sont directement concernés en raison de l’utilisation d’insecticides, comme les néonicotinoïdes, les carbamates et pyréthrinoïdes. Des effets indirects sur les oiseaux et les chauves-souris ont été identifiés en lien avec la diminution des ressources alimentaires des insectivores.

De façon générale, les effets directs des produits phytosanitaires sur la biodiversité sont les mieux documentés car ils font partie de l’évaluation des risques lors du processus d’homologation des produits phytopharmaceutiques. Ils représentent actuellement 40 % des 300 études nécessaires à l’homologation. Quant aux effets indirects, comme la perte d’habitats ou de ressources alimentaires pour les herbivores et les prédateurs, ils ne sont pas uniquement liés aux propriétés des produits phytosanitaires. Ils peuvent dépendre de la façon de les utiliser à l’échelle d’un territoire ou des pratiques agricoles. Par exemple, un binage détruit aussi les adventices. Il ne s’agit pas de minimiser l’effet des produits phytosanitaires, dont le rôle est bien d’éliminer des bioagresseurs, mais d’avoir une approche plus globale, au-delà de la parcelle.

Les chercheurs ont posé la question de la prise en compte des services écosystémiques dans l’évaluation des produits phytopharmaceutiques, est-ce possible ?

Un service écosystémique concerne l’utilisation par l’Homme d’une fonction existant dans la nature. Par exemple, la pollinisation est une fonction écosystémique, la production de miel ou la pollinisation d’un verger rendent service à l’Homme.

Des espèces auraient un rôle clé dans ces équilibres. L’effet sur les fonctions écosystémiques et les services rendus pourrait être une approche novatrice de l’évaluation des produits phytopharmaceutiques. Pour être réalisable, cette suggestion suppose d’inventer des méthodes d’évaluation. Elles doivent en plus être approuvées par l’Efsa pour intégrer les guides méthodologiques, ce qui demande du temps.

Quels sont les principaux leviers d’atténuation des risques d’impacts des produits phytosanitaires identifiés dans l’expertise collective ?

Les chercheurs estiment qu’il faut combiner des pratiques agronomiques pour limiter les pollutions diffuses. Nombre d’entre elles sont déjà visées par la réglementation comme ne pas traiter en cas de vent fort, de pluie. Parmi d’autres leviers cités : aménager des zones tampons sèches ou humides dans le paysage, couvrir en permanence des sols. La gestion du compartiment sol ressort primordiale avec en ligne de mire un accroissement de la matière organique. Un sol riche en carbone organique renforce la résilience des agrosystèmes. Il joue pleinement son rôle d’épuration et de limitation des transferts de molécules vers la ressource en eau.

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