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Parole d'expert

Pour faire face aux bioagresseurs des cultures, deux chercheurs décryptent le potentiel des NGT

L’édition du génome est un nouvel outil qui permet de  sélectionner plus vite et plus finement des plantes résistantes aux bioagresseurs. Thierry Langin (CNRS et AFBV) et Cédric Riboulet (Corteva) expliquent ce potentiel encore bridé.

En Europe, la toute première variété travaillée avec les outils d’édition du génome n’est pas une plante de grandes cultures mais une tomate ! Depuis, d’autres espèces ont suivi : vigne, blé, riz, légumineuses. Mais surtout, le potentiel d’utilisation des NGT s’élargit. « Demain, des variétés résistantes à des maladies majeures, comme la fusariose du maïs ou la rouille du blé, verront le jour, anticipe Cédric Riboulet, sélectionneur chez Corteva. Certainement à plus long terme, nous aurons des solutions concrètes pour des plantes plus résilientes au changement climatique. »

L’édition du génome est en effet un nouvel outil dans la boîte du généticien. « Je la compare à un clavier moléculaire à six touches : les quatre bases de l’ADN, une touche pour insérer, une pour supprimer », illustre-t-il.

Thierry Langin, directeur de recherche au CNRS et président de l’AFBV, en souligne la précision : « On peut choisir la mutation, créer des allèles utiles sans pénalité pour la plante. Contrairement aux mutagénèses classiques, ici, pas de constructions génétiques complexes. On cible. On ajuste. Cette précision fait toute la puissance de l’édition du génome ». Il prend pour exemple l’outil CRISPR-Cas9, créé à partir d’une composante du système immunitaire bactérien : « Un ARN-guide mène la nucléase Cas9 pour qu’elle coupe l’ADN à l’endroit voulu. L’ADN est ensuite réparé, avec ou sans insertion. Ainsi, on peut modifier la séquence d’un gène pour obtenir un nouveau caractère. »

Améliorer la résistance variétale aux bioagresseurs ou inhiber la sensibilité

L’édition du génome permet aujourd’hui d’activer deux leviers complémentaires pour limiter l’impact des bioagresseurs. Le premier améliore la résistance des plantes. « Pour l’helminthosporiose du maïs par exemple, nous connaissons déjà les gènes impliqués, explique Cédric Riboulet. Avec la technologie CRISPR-Cas9, on les modifie très finement pour  rendre la variété résistante sans toucher à ses autres qualités. » Et d’ajouter : « Nous allons même plus loin. Habituellement répartis sur dix chromosomes du maïs, plusieurs gènes de résistance peuvent désormais être regroupés en un seul endroit. Cet assemblage optimise la transmission et simplifie la sélection. »

La seconde stratégie ne vise pas l’introduction de résistances spécifiques mais utilise les connaissances acquises sur les facteurs favorisant la pénétration et le développement d’un agent pathogène. « Plutôt que d’activer des mécanismes de défense spécifiques, via la modification des gènes de résistance, il s’agit ici d’inhiber les facteurs de sensibilité naturellement présent chez la plante, partage Thierry Langin. Comme certains agents pathogènes exploitent les mêmes facteurs de sensibilité, on peut, en les supprimant, conférer une résistance simultanée à plusieurs maladies. Ce type de résistance, plus large, est potentiellement plus durable

Échange sur les usages de l’édition du génome en sélection variétale organisé le 25 février pendant le Salon international de l’agriculture. Quitterie Daire-Gonzalez (Commission biotechnologies de Phyteis) anime la discussion avec de gauche à droite Cédric Riboulet (Corteva) et Thierry Langin (AFBV).

Vers une sélection variétale plus ciblée et rapide grâce aux séries alléliques

L’utilisation des NGT chez une espèce végétale nécessite de réunir deux éléments : la séquence annotée de son génome avec des gènes dont on connaît la fonction ainsi qu’un système permettant d’introduire le complexe enzymatique et les ARN guides. De nombreux gènes de résistance ont été clonés chez différentes espèces et différents agents pathogènes. « À partir de ces gènes, il est maintenant possible de modifier par édition du génome leur séquence et générer ce que l’on appelle des séries alléliques, c’est-à-dire des variantes d’un même gène, développe Thierry Langin. Ensuite, les lignées éditées peuvent être confrontées à différentes souches de l’agent pathogène. » Ainsi, cette stratégie accélère l’identification de gènes fonctionnels. Elle évite de passer par les méthodes de clonage de gènes classiques, longues, aléatoires et coûteuses. « L’édition du génome permettrait de gagner 30 % de temps sur la création de variétés, insiste Cédric Riboulet. C’est colossal pour nous »

Élaboration conjointe de solutions à destination des agriculteurs

En France, la recherche dans le domaine de l’édition du génome est très active. Côté public, les laboratoires participent à des programmes internationaux de séquençage, identifient les gènes d’intérêt, conçoivent les outils d’édition…. Les semenciers, quant à eux, concrétisent cette recherche dans la construction de variétés élites qui seront proposées aux agriculteurs. « Nous sommes complémentaires : la recherche publique génère la connaissance, celle du privé la transforme en variétés utiles », résume Thierry Langin. Dans ce cas, des programmes de recherche comme le PEPR Sélection végétale avancée ou les thèses Cifre consolident ces collaborations.

Le déverrouillage réglementaire sur les NGT est indispensable

Les deux chercheurs attendent avec impatience le futur règlement européen sur les Nouvelles Techniques Génomiques (NGT). Au sein de la Communauté européenne aujourd’hui, il n’est pas possible, sauf autorisation spéciale rarement accordée, d’évaluer au champ la performance des plantes éditées. « Nous avons les gènes, les outils, les compétences mais, on ne peut pas valider leurs intérêts au champ ce qui est frustrant », regrette Cédric Riboulet. En revanche, les États-Unis ou la Chine investissent massivement. « Nous formons des experts, mais si nous n’avançons pas assez vite ce savoir-faire bénéficiera à d’autres pays », alerte Thierry Langin.

L’édition du génome fait partie d’une combinaison de solutions pour protéger les cultures

La question revient souvent : cette technologie sera-t-elle révolutionnaire ? « Difficile d’y répondre pour l’instant car l’histoire ne fait que commencer, assure Cédric Riboulet. Aucun maïs édité n’a encore été semé en champ alors que les perspectives sont extrêmement prometteuses. Tout reste à construire entre les acteurs publics et privés. Les dix, quinze ou vingt prochaines années s’annoncent passionnantes. En outre, les résultats issus des futures collaborations pourraient bien dépasser toutes les attentes ».

L’édition génomique ne remplace pas les autres approches, mais vient les compléter. « Miser sur un seul levier ne suffit pas, prévient Thierry Langin. Les réponses efficaces aux enjeux auxquels l’agriculture est aujourd’hui confrontée, devront combiner différents leviers : agronomique, génétique, biotechnologique, numérique, des stratégies de gestion à grande échelle, la diversification des cultures, l’adaptation des systèmes de culture… L’édition génomique s’ajoute à cet arsenal. Elle peut accélérer la mise en place de certaines solutions, en proposer de nouvelles, mais sans tout résoudre à elle seule. »