Phytopharmacie, l’autonomie de production de l’Europe fragilisée par la réglementation
Dans un livre publié aux éditions Presses des Mines, 21 experts de l’Académie d’agriculture alertent sur les risques de perte d’autonomie de l’Europe dans les moyens de production, notamment en ce qui concerne la phytopharmacie et le biocontrôle.
La préface du livre « Agrofournitures, quelle autonomie française et européenne ? » rédigée par le sénateur Laurent Duplomb, apporte une réponse sans équivoque. Oui, la perte d’autonomie dans les moyens de production suscite de vives inquiétudes. En cause, un raisonnement trop compartimenté dans les décisions politiques, finalement un manque d’approche globale. « Cet ouvrage démontre qu’il est urgent de cesser de raisonner secteur par secteur, selon ce principe mortifère consistant à interdire ou réglementer toujours davantage sans examiner au préalable les interactions et les conséquences sur l’ensemble des productions agricoles », écrit-il.
Les chapitres du livre consacrés à la phytopharmacie, aux biostimulants, aux engrais et au numérique en fournissent de parfaits exemples. Actuellement, le seul domaine où l’Europe conserverait son autonomie est celui des semences et, dans une moindre mesure, des agroéquipements. Les fermes françaises pourraient aussi assurer leur indépendance énergétique grâce à la méthanisation et le photovoltaïque.
L’Europe conserve la formulation des produits phytopharmaceutiques mais pas la synthèse chimique
Rédigée par d’anciens dirigeants d’entreprises du secteur de la protection des cultures, l’analyse de ce dernier révèle un déséquilibre grandissant entre la situation en Europe et celle sur les autres continents. D’abord, la synthèse des matières actives a considérablement diminué, l’essentiel des usines assurant surtout la formulation et le conditionnement des produits. « Cette érosion de l’autonomie de l’Europe s’explique par une remise en cause de la chimie traditionnelle et par un durcissement des exigences réglementaires, indique André Fougeroux, membre de l’Académie d’agriculture et coordinateur du livre. Ces postures entrainent des bouleversements dans les stratégies industrielles. »
De plus, le durcissement des exigences en matière d’évaluation des produits en Europe aggrave la situation. Depuis dix ans, le retrait de solutions chimiques s’accélère et peu de nouvelles substances actives font l’objet d’une demande d’évaluation. Le tissu industriel se développe donc hors UE. Conséquence, cette tendance menace la survie de filières agricoles entières. Le livre cite notamment celles des betteraves à sucre, des cerises, des endives ou encore des scorsonères. Malgré tout, 91 % du chiffre d’affaires des produits phytopharmaceutiques vendus en France en 2022 provient d’unités de production implantées en Europe. Environ la moitié d’entre elles se situe en France. Maintenir cette capacité de production de spécialités commerciales « reste un atout important en termes de réactivité pour satisfaire les besoins du marché européen et pour répondre rapidement en cas de conditions conjoncturelles favorables aux bioagresseurs comme on peut en connaître certaines années », indiquent les rédacteurs.
Les obstacles réglementaires affectent aussi le biocontrôle
Dans ce contexte, la fabrication de produits de biocontrôle pourrait s’imposer comme une alternative viable, que soutiennent les politiques publiques. D’ailleurs, la France alloue 146 millions d’euros au programme de recherche de solutions Parsada. Elle s’implique également via France 2030 dans le Grand défi biocontrôle et biostimulation pour l’agroécologie.
Cependant, le parcours réglementaire ne fait pas de distinction en Europe entre les catégories de produits. L’obtention des autorisations de mise sur le marché (AMM) pour ceux de biocontrôle est un processus tout aussi long que pour ceux d’origine chimique. Le parcours s’étend, au minimum, sur une décennie. En revanche, l’évaluation d’un produit de biocontrôle est bien plus rapide ailleurs. Elle prend entre un et deux ans au Brésil, et entre deux et trois ans aux États-Unis.
De plus, les marchés sont dynamiques partout dans le monde. Celui des médiateurs chimiques enregistrerait une croissance annuelle de 10 % dans l’Union européenne, contre 15 à 20 % hors de l’UE.
Quant aux grandes entreprises, elles sont en train de structurer leur portefeuille de biosolutions. Elles augmentent leur programme de recherche, en nouant des partenariats et en réalisant des acquisitions.
Perte d’autonomie de l’Europe dans les secteurs émergents
Résultat, pour fabriquer, la majorité des sociétés se tournent vers des marchés où le retour sur investissement est plus rapide comme l’Amérique du Sud ou l’Amérique du Nord. La situation se tend aussi en raison de coûts de production élevés en Europe, notamment ceux de la main-d’œuvre et de l’énergie. De fait, le Brésil ou l’Inde attirent les entreprises nécessitant des équipements lourds comme des fermenteurs.
« En somme, l’Europe, autrefois un acteur majeur dans ces domaines, risque de perdre sa place dans les secteurs émergents comme le biocontrôle, tout en voyant ses activités traditionnelles se réduire considérablement », conclut André Fougeroux.
Enfin, dans le numérique, l’Europe est absente. Data centers, imagerie satellite, objets connectés, blockchain : tout est dans le giron des GAFAM et principalement d’entreprises américaines. Néanmoins, les partenariats entre start-ups européennes et constructeurs établis peuvent devenir des leviers puissants pour reprendre le terrain.
Agrofournitures, quelle autonomie française et européenne ?
Collections de l’Académie d’Agriculture de France
Les contributeurs : Laurent Duplomb, Bernard Ambolet, René Autellet, Jean-Louis Bernard, Hubert Defrancq, Florence Doat-Matrot, Frank Garnier, Michel Girard, Ulf Heilig, Alain Jeanroy, Daniel-Éric Marchand, Michel Morel, Laurice Pechberty, Gilles Poidevin, Christian Saber, Marie-Emmanuelle Saint Macary, Jean-Marie Séronie, Claude Sultana, Alain Toppan, Guy Viollet, Guy Waksman, sous la coordination d’André Fougeroux.