Pesticides dans les nuages ? Une présence qui interroge.
De 6 à 140 tonnes de molécules de pesticides dans les nuages ! L’image d’un tel réservoir de contaminations chimiques interpelle. Mais la plupart des substances actives détectées ne proviendraient pas de l’agriculture française.
Des chercheurs de l’université de Clermont-Ferrand et du CNRS ont mesuré la concentration des pesticides dans l’eau des nuages. Leur objectif est d’évaluer le transport atmosphérique à longue distance, sous forme gazeuse, de ces substances chimiques. D’ailleurs, les prélèvements réalisés à 1 500 m d’altitude au-dessus du Puy de Dôme, en fin d’été et au début du printemps, affranchissent les résultats de toute influence des pratiques agricoles.
Recherche de pesticides dans les nuages : 94 % n’ont pas été détectés
Les analyses portent sur six échantillons de l’eau de nuage recueillie dans la troposphère. Sur 450 substances actives ciblées, ils en ont détecté 32. Dans deux échantillons, la concentration totale dépasse 0,5 μg/L. Ce seuil correspond à la limite réglementaire pour l’eau potable. Pour les autres, les concentrations sont majoritairement infimes, certaines se situent dans l’ordre du picogramme par litre. « On parle d’un millième de milliardième de gramme, insiste Ronan Vigouroux, responsable environnement chez Phyteis. En outre, à ces niveaux, on atteint les limites de la détection analytique. »
La moitié des substances actives mesurées dans les nuages sont interdites ou non agricoles
Ensuite, les auteurs extrapolent ces résultats à l’échelle de la France. Ils estiment entre 6 et 140 tonnes la quantité de pesticides contenus dans les nuages. Elle varierait alors en fonction de la couverture nuageuse du moment. L’approche semble « statistiquement fragile », selon Ronan Vigouroux. « On passe de six prélèvements ponctuels à une estimation nationale. Certes, l’ordre de grandeur paraît impressionnant mais il repose sur une base extrêmement réduite. »
Autre point clé : sur les 32 molécules détectées, 13 sont des substances phytopharmaceutiques encore autorisées en Europe. Mais surtout,11 sont interdites depuis longtemps, parfois au-delà de vingt ans ou ne relèvent plus du domaine agricole. « Par exemple, on trouve du 2,4-dinitrophénol, utilisé comme herbicide jusqu’en 1998, mais aujourd’hui encore présent dans de nombreux produits, notamment dans les colorants et les explosifs. C’est lui qui affiche la concentration la plus forte avec une mesure de 2 µg/L », souligne Ronan Vigouroux. L’anthraquinone, décelée dans plusieurs échantillons, illustre bien le problème de l’identification de la source : « En effet, cette molécule, autrefois employée en traitement de semences, est aussi un sous-produit de la combustion du diesel. Elle ne dit rien sur l’agriculture », précise-t-il. Enfin, 6 autres composés, comme le triphényl-phosphate ou le DEET, proviennent d’usages industriels ou domestiques.
Pas de corrélation entre zones agricoles et pesticides dans les nuages
Paradoxalement, les molécules retrouvées dans cette étude sont différentes de celles détectées dans l’air dans les zones agricoles lors des campagnes de surveillance.
Ainsi, la présence de traces chimiques dans l’atmosphère reflète plutôt la complexité des échanges atmosphériques mondiaux. Comme le conclut Ronan Vigouroux : « Des composés chimiques circulent dans la troposphère mais sur de longues distances. À ce stade, l’étude ne permet pas de lier la présence de molécules pesticides dans les gouttes de pluie et les pratiques des agriculteurs français. »
Néanmoins, selon les auteurs de l’étude, ces mesures de pesticides dans les nuages ouvrent la voie à d’autres recherches. Elles aideraient à mieux cerner le devenir de ces substances dans l’atmosphère et leurs potentiels effets sur la santé et les écosystèmes.
L’étude est en ligne sur le site Environnemental Science & Technologies