Évaluation des produits phytopharmaceutiques : innover et harmoniser pour répondre aux défis des agriculteurs
Charlotte Grastilleur (Anses) et Anne Azam (Phyteis) plaident pour des évaluations des produits phytopharmaceutiques mieux harmonisées en Europe, une meilleure pédagogie et la reconnaissance des approches combinatoires innovantes.
D’ores et déjà, de nouveaux équilibres dans les méthodes de protection des cultures se mettent en place. Cela passe par l’intelligence du combinatoire : associer les substances, développer les produits de biocontrôle, les biostimulants, les outils numériques, mais aussi tirer parti des semences et des systèmes de culture.
Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée en charge des produits réglementés au sein de l’Anses confirme l’intérêt de cette nouvelle approche en déploiement depuis trois ans. « On doit pouvoir utiliser tous les leviers disponibles, précise-t-elle. Drones, OAD, pulvérisation ciblée, macro-organismes, conseils techniques : l’approche combinatoire devient centrale. »
Encore faut-il que les itinéraires techniques reposent sur des essais et du conseil auprès des agriculteurs.
Difficile d’accélérer l’évaluation des produits phytopharmaceutiques
Face à cette complexité, l’Anses tient un rôle de pivot. L’agence autorise, ou non, les produits phytopharmaceutiques sur la base de dossiers techniques. « C’est une responsabilité modeste dans le panorama global de la politique des produits phytopharmaceutiques car elle ne concerne que les autorisations des produits mais elle est importante », résume Charlotte Grastilleur.
L’Anses doit alors conjuguer attentes pressantes des filières et respect du parcours d’évaluation des produits phytopharmaceutiques. Pour y parvenir, elle établit des fenêtres de pré-soumission des dossiers. Ainsi, l’Anses anticipe sa charge de travail et priorise au mieux les dossiers, notamment ceux visant à remplacer des substances retirées du marché et le biocontrôle car c’est une obligation nationale. Elle répond également aux orientations sur les besoins des filières en suivant le comité des solutions quand cela ne met pas en péril sa programmation. Ce système a pour objectif de prévenir les ruptures de solutions tout en respectant les droits des entreprises car la législation impose une équité de traitement des demandeurs. Mais, les capacités de traitement restent limitées.
Par ailleurs, à l’échelle européenne, lorsque la France est pays rapporteur pour la zone Sud, l’Anses doit se conformer aux délais propres à cette activité pour ne pas pénaliser les homologues des autres Etats membres. Parfois, ces impératifs se révèlent être en contradiction avec les priorités nationales. « Conséquence, certains anticipent déjà des dépôts de dossier pour 2027 ! », témoigne Charlotte Grastilleur.
« Apporter des innovations aux agriculteurs dont les besoins évoluent de plus en plus vite est une vraie course contre la montre »estime Anne Azam. C’est pourquoi elle espère pouvoir déposer des compléments en cours d’instruction pour éviter de perdre du temps. Cependant, l’Anses qui effectivement peut demander des clarifications aux pétitionnaires, ne peut pas tout accepter, comme le prévoit la législation : « C’est une question d’organisation », explique Charlotte Grastilleur.
Malgré tout, l’objectif reste la rigueur, la traçabilité et l’équité entre les entreprises. « Un bon dossier, bien préparé, se traite plus rapidement », avertit la représentante de l’Anses. Quant aux moyens supplémentaires ? Les ressources restent contraintes, répond Charlotte Grastilleur. Financée notamment par des taxes, l’agence ne couvre déjà pas l’ensemble de ses charges.
Lors de Phyteis Campus le 13 mai à Paris, Anne Azam de Phyteis (à droite) et Charlotte Grastilleur de l’Anses débattent des conditions à réunir pour accélérer l’évaluation des produits phytopharmaceutiques et accompagner la transition agricole.
Biocontrôle : des ambitions freinées par le cadre européen
Solution d’avenir, le biocontrôle reste freiné par un cadre réglementaire européen inadapté. Seule la France dispose d’une définition officielle. À l’échelle de l’Union, il manque non seulement une définition commune, mais aussi des procédures et des critères d’évaluation spécifiquement conçus pour ces produits. Un préalable indispensable pour accélérer leur mise sur le marché.
Anne Azam rappelle qu’un biocontrôle peut être autorisé en deux ou trois ans au Brésil, contre parfois près de dix ans en Europe. « Ce n’est donc pas un hasard si les agriculteurs brésiliens sont aujourd’hui les premiers utilisateurs de biosolutions dans le monde ».
De son côté, Charlotte Grastilleur précise que l’Anses traite en priorité les dossiers des produits de biocontrôle et leur applique une taxe réduite. L’objectif est un examen en moins d’un an, dès lors que le dossier est complet. Mais, effectivement, « sans adaptation du cadre européen de l’évaluation des produits phytopharmaceutiques, cette efficacité demeure partielle car l’examen du produit est priorisé, en France mais pas partout en Europe, et celui de la substance active ne l’est pas nécessairement dans la phase amont sous l’égide de l’EFSA », prévient-elle.
Néanmoins, des signaux positifs émergent. L’Anses évoque des discussions récentes avec la Commission européenne qui montrent d’une volonté de faire évoluer la réglementation.
Harmonisation européenne dans l’évaluation en discussion
Le sujet des distorsions de concurrence entre pays européens est particulièrement sensible et emblématique. Outre les cas de substances autorisées dans certains pays d’Europe et pas en France, les écarts sont parfois plus subtils. Ainsi, ils portent sur des différences d’usages, de doses, de contraintes spécifiques à la France (phrases de risque, mélanges interdits). « Cela complexifie le travail des agriculteurs et donc diminue leur compétitivité », alerte Anne Azam.
Charlotte Grastilleur met en avant la difficulté du sujet. Dans des cas, les écarts s’expliquent aussi par des dépôts de dossiers différents et effectivement des exigences légales renforcées (comme sur les coformulants). Mais, ils traduisent aussi un manque d’alignement dans l’emploi des paramètres harmonisés des documents guides dans les dossiers.
Elle insiste sur la nécessité d’un dialogue renforcé entre États membres.
D’ailleurs, des échanges ont lieu notamment dans le cadre du groupe européen Post Approval Issues. En effet, celui-ci peut traiter des divergences d’évaluation sur l’ensemble des produits phytopharmaceutiques. Le biocontrôle en fait donc partie. « Sur la base d’un même dossier, scientifiquement, il faut qu’on arrive à s’accorder », souligne-t-elle.
Le comité des solutions : un espace de dialogue inédit
Face à ces enjeux, le comité des solutions apparaît comme un levier de dialogue inédit. Déjà, il permet d’identifier les écarts d’autorisation entre la France et ses voisins, de repérer les impasses et de donner la parole aux filières agricoles. «Un outil ambitieux mais encore en construction », note Charlotte Grastilleur. Phyteis s’y engage pleinement. Ses adhérents examinent la liste des solutions autorisées ailleurs en Europe, mais absentes en France, et évaluent leur potentiel de dépôt. « C’est l’incarnation du faire ensemble », résume Anne Azam.
Vers une nouvelle grille d’évaluation de solutions combinées ?
En parallèle, la réalité agronomique évolue plus vite que les critères d’évaluation des produits phytopharmaceutiques. « Les contenus des dossiers ne prennent pas en compte l’approche combinatoire », regrette Anne Azam.
Charlotte Grastilleur soutient l’intégration de nouveaux critères, notamment en matière d’efficacité, trop souvent considérée selon des grilles classiques. Pour les produits de biocontrôle ou les combinaisons innovantes, cette rigidité devient même un frein. « Parfois, il faut savoir envisager une efficacité partielle, à condition qu’elle s’inscrive dans une stratégie combinée avec un effet global », indique-t-elle.
Les deux intervenantes s’accordent également sur le fait que l’innovation ne doit plus être pénalisée par un cadre pensé pour un produit phytopharmaceutique conventionnel. Cela suppose d’admettre le rôle des outils numériques comme des agroéquipements de précision dans la performance agronomique et la réduction des impacts sur l’environnement.
Un enjeu de pédagogie pour l’Anses, un appel à l’innovation pour Phyteis
En conclusion, Charlotte Grastilleur estime que le principal enjeu pour l’Anses réside dans la pédagogie et l’amélioration continue. Pour Anne Azam, la reconnaissance de l’Anses comme garante de la sécurité sanitaire et environnementale est un enjeu majeur. Elle se dit « confiante dans la capacité de l’industrie, en agissant collectivement, à relever ces défis au bénéfice de l’agriculture et de la société ».