Évaluation des produits phytopharmaceutiques : innover et harmoniser pour répondre aux défis des agriculteurs

Charlotte Grastilleur (Anses) et Anne Azam (Phyteis) plaident pour des évaluations des produits phytopharmaceutiques mieux harmonisées en Europe, une meilleure pédagogie et la reconnaissance des approches combinatoires innovantes.

Lors de Phyteis Campus le 13 mai à Paris, Anne Azam (Phyteis) et Charlotte Grastilleur (Anses) débattent des conditions à réunir pour accélérer l’évaluation des produits phytopharmaceutiques et accompagner la transition agricole.
Biocontrôle : des ambitions freinées par le cadre européen
Solution d’avenir, le biocontrôle reste freiné par un cadre réglementaire européen inadapté. Seule la France dispose d’une définition officielle. À l’échelle de l’Union, il manque non seulement une définition commune, mais aussi des procédures et des critères d’évaluation spécifiquement conçus pour ces produits. Un préalable indispensable pour accélérer leur mise sur le marché.
Anne Azam rappelle qu’un biocontrôle peut être autorisé en deux ou trois ans au Brésil, contre parfois près de dix ans en Europe. « Ce n’est donc pas un hasard si les agriculteurs brésiliens sont aujourd’hui les premiers utilisateurs de biosolutions dans le monde ».
De son côté, Charlotte Grastilleur précise que l’Anses traite en priorité les dossiers des produits de biocontrôle et leur applique une taxe réduite. L’objectif est un examen en moins d’un an, dès lors que le dossier est complet. Mais, effectivement, « sans adaptation du cadre européen de l’évaluation des produits phytopharmaceutiques, cette efficacité demeure partielle car l’examen du produit est priorisé, en France mais pas partout en Europe, et celui de la substance active ne l’est pas nécessairement dans la phase amont sous l’égide de l’EFSA », prévient-elle.
Néanmoins, des signaux positifs émergent. L’Anses évoque des discussions récentes avec la Commission européenne qui montrent d’une volonté de faire évoluer la réglementation.
Harmonisation européenne dans l’évaluation en discussion
Le sujet des distorsions de concurrence entre pays européens est particulièrement sensible et emblématique. Outre les cas de substances autorisées dans certains pays d’Europe et pas en France, les écarts sont parfois plus subtils. Ainsi, ils portent sur des différences d’usages, de doses, de contraintes spécifiques à la France (phrases de risque, mélanges interdits). « Cela complexifie le travail des agriculteurs et donc diminue leur compétitivité », alerte Anne Azam.
Charlotte Grastilleur insiste sur la complexité du sujet. Dans des cas, les écarts s’expliquent aussi par des dépôts de dossiers différents et effectivement des exigences légales renforcées (comme sur les coformulants). Mais, ils traduisent aussi un manque d’alignement dans l’emploi des paramètres harmonisés des documents guides dans les dossiers.
Elle insiste sur la nécessité d’un dialogue renforcé entre États membres.
D’ailleurs, des échanges ont lieu notamment dans le cadre du groupe européen Post Approval Issues. En effet, celui-ci peut traiter des divergences d’évaluation sur l’ensemble des produits phytopharmaceutiques. Le biocontrôle en fait donc partie. « Sur la base d’un même dossier, scientifiquement, il faut qu’on arrive à s’accorder », souligne-t-elle.
Le comité des solutions : un espace de dialogue inédit
Face à ces difficultés, le comité des solutions apparaît comme un levier de dialogue inédit. Déjà, il permet d’identifier les écarts d’autorisation entre la France et ses voisins, de repérer les impasses et de donner la parole aux filières agricoles. «Un outil ambitieux mais encore en construction », note Charlotte Grastilleur. Phyteis s’y engage pleinement. Ses adhérents examinent la liste des solutions autorisées ailleurs en Europe, mais absentes en France, et évaluent leur potentiel de dépôt. « C’est l’incarnation du faire ensemble », résume Anne Azam.
Vers une nouvelle grille d’évaluation de solutions combinées ?
En parallèle, la réalité agronomique évolue plus vite que les critères d’évaluation des produits phytopharmaceutiques. « Les contenus des dossiers ne prennent pas en compte l’approche combinatoire », regrette Anne Azam.
<p>Charlotte Grastilleur soutient l’intégration de nouveaux critères, notamment en matière d’efficacité, trop souvent considérée selon des grilles classiques. Pour les produits de biocontrôle ou les combinaisons innovantes, cette rigidité devient même un frein. « Parfois, il faut savoir envisager une efficacité partielle, à condition qu’elle s’inscrive dans une stratégie combinée avec un effet global », indique-t-elle.
Les deux intervenantes s’accordent également sur le fait que l’innovation ne doit plus être pénalisée par un cadre pensé pour un produit phytopharmaceutique conventionnel. Cela suppose d’admettre le rôle des outils numériques comme des agroéquipements de précision dans la performance agronomique et la réduction des impacts sur l’environnement.
Un enjeu de pédagogie pour l’Anses, un appel à l’innovation pour Phyteis
En conclusion, Charlotte Grastilleur estime que le principal enjeu pour l’Anses réside dans la pédagogie et l’amélioration continue. Anne Azam, pour qui la reconnaissance de l’Anses en tant que garante de la sécurité sanitaire et environnementale est un enjeu majeur, a « confiance dans le fait que ensemble en tant qu’industrie on arrivera à relever ces défis qui seront bénéfiques pour l’agriculture et la société ».