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Drosophila suzikii : quelles pistes pour sortir la filière cerises de l’impasse technique ?

Drosophila suzikii, la mouche des fruits rouges, est certainement l’une des espèces invasives les plus emblématiques de l’arboriculture. Contre cet insecte, les producteurs se trouvent démunis. Ils demandent d’élaborer une boîte à outils durable. Elle doit inclure des molécules efficaces avec moins d’impacts et davantage s’ouvrir aux solutions alternatives. L’Inrae de Sophia Antipolis identifie un petit insecte parasitoïde. Pourra-t-il remplir ce second objectif ?

Originaire d’Asie, Drosophila suzikii se repère en France dès 2010. De loin, cette mouche est le premier ravageur des vergers de cerises. Rapidement, un producteur peut tout perdre dès qu’elle s’installe dans une parcelle ! René Reynard, président de l’Organisme de gestion Fruiventoux pilote aussi de l’IGP cerises des coteaux du Ventoux. Il rappelle qu’« en cas de température douce et humide au moment de la formation de fruits, si rien n’est fait, une récolte peut être anéantie en trois jours ! ».

Disposer de phytopharmacie efficace et durable

Pour agir contre cette mouche qui pond dans les cerises en formation, la panoplie des solutions se révèle limitée. En début de cycle, les producteurs traitent avec un insecticide de la famille des diamides. Dans la foulée, ils déploient les filets de protection sur les cerisiers. Aux mailles très serrées, ils empêchent l’installation de la mouche des fruits rouges. Cependant, les filets se posent uniquement sur les arbres taillés en gobelet et en axe.  « C’est efficace, témoigne René Reynard. En attendant, ce dispositif nécessite un important investissement. Comme les filets ne conviennent pas à toutes les architectures d’arbres alors il faut réaliser plusieurs passages d’insecticides. De plus, ces produits doivent faire l’objet d’une dérogation 120 jours. »

Par conséquent, pour les producteurs, la période se révèle difficile. Ce qui est très efficace en phytopharmacie (diméthoate, phosmet) contre Drosophila suzikii n’est plus envisageable. En outre, il faut préserver les molécules restantes.
Dans ces conditions, la filière estime que la situation n’est pas durable. «  Notre objectif est ne plus avoir de dérogations, assure le président de l’organisation de producteurs. Certes, nous souhaitons disposer de produits moins nocifs pour l’applicateur mais efficaces et homologués pour dix ans. Nous avons besoin de visibilité. » Toutefois, des solutions de biocontrôle existent, telles que les huiles essentielles. Pour « affiner » leur efficacité, il stipule que « les molécules chimiques restent nécessaires en cas de fortes attaques de l’insecte ».

La filière IGP cerise des coteaux du Ventoux dans le Vaucluse compte 50 producteurs, une dizaine de stations de commercialisation. En moyenne, son potentiel de production est de 300 tonnes de cerises. La récolte se destine au marché français.

Le vent est défavorable à l’activité de la mouche des fruits rouge. En revanche, Drosophila suzikii apprécie les températures douces et l’humidité des mois d’avril et mai. Alors, elle pond dans les fruits en formation.

Alternative prometteuse avec le parasitoïde Ganaspis ?

Pour Alexandra Lacoste, directrice de l’AOP Cerises de France, des stratégies de protection plus performantes se dessinent mais à long terme. Cependant, elle aimerait que celle fondée sur la prédation avec le parasitoïde Ganaspis cf. brasiliensis puisse être rapidement opérationnelle. Cette micro-guêpe vient du japon. Elle pond dans les œufs de Drosophila suzikii. Aussi, le défi consiste à l’acclimater afin qu’elle résiste aux hivers. Suite à un avis favorable de l’Anses de 2023, le ministère de l’Agriculture autorise des lâchers sur des parcelles expérimentales. L’Inrae et le CTIFL pilotent le programme.

En 2024, vingt lâchers se déroulent en trois phases sur plusieurs sites. Après la récolte des fruits, Ils se prolongent par un suivi des populations avec des piégeages. L’objectif est de mieux connaître la biologie de Ganaspis afin de caractériser les facteurs écologiques favorables à son installation. « On mise sur le même résultat qu’avec Torymus sinensis contre le cynips du châtaignier, commente Alexandra Lacoste. C’est pour nous l’espoir, en attendant les innovations. »

Déployer une approche combinatoire contre Drosophila suzikii

Par ailleurs, ce programme de recherche sur Ganaspis cf. brasiliensis figure dans le plan Parsada. Dans ce cadre, la fiche action spécifique à Drosophila suzikii prévoit aussi des travaux sur la technique de l’insecte stérile. D’autres projets ciblent les plantes attractives/répulsives, l’organisation des paysages, le développement d’un outil numérique d’aide à la décision… Sans oublier l’identification ainsi que le développement des produits et des stratégies de lutte. « De surcroît, nous siégeons au comité de pilotage de Parsada, précise la directrice de l’AOP. Notre but est de travailler à l’articulation de ces nouvelles solutions et de tenir techniquement jusqu’à ce que d’autres arrivent. »

Ainsi mobilisée, la recherche permettra de maîtriser la mouche des fruits rouges. Pour autant, la filière cerises risque de devoir affronter une autre difficulté. La mouche méditerranéenne, ravageur endémique, avait quasiment disparue des radars. Sauf que depuis deux ans, les producteurs notent une recrudescence de cette mouche historique. « En effet, cela coïncide avec l’arrêt du phosmet, avertit Alexandra Lacoste. Si Ceratitis capitata revient en force, nous risquons d’être à nouveau au pied du mur. »

Alexandra Lacoste, directrice de l’AOP Cerises de France et René Reynard, président de l’Organisme de gestion (ODG) Fruiventoux.

Dérogations 120 jours pour quatre insecticides

Quatre produits possèdent en dérogation d’usage pour protéger les vergers de cerisiers contre la mouche Drosophila suzukii. En outre, deux d’entre eux sont utilisables en bio.

La dérogation court jusqu’au 30 juillet 2024. Ainsi, il s’agit du kaolin (AB et biocontrôle), du spinosad (AB)
B), du cyantraniliprole et de l’emamectine.