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Phyteis

Déploiement de l’approche combinatoire de la protection des cultures, un nouveau pacte agricole ?

L’approche combinatoire de la protection des cultures n’est plus une option. Son déploiement se bâtit collectivement et nécessite un conseil à la carte car il n’existe pas de recettes figées. Décryptage avec Marie Le Neouanic (NatUp) et Joëlle Sfeir (Phyteis).

La question n’est plus de savoir s’il faut opter pour l’approche combinatoire de la protection des cultures. Désormais, cette méthode s’impose comme une évidence face aux attentes sociétales, aux exigences réglementaires, à la résilience climatique et aux impasses techniques. Pourtant, sa mise en œuvre reste contrastée selon les cultures, les territoires ou les équipements.

Des stratégies sur-mesure selon les contextes

À la coopérative NatUp, le déploiement de l’approche combinatoire de la protection des cultures s’appuie sur l’expérimentation. Chaque année, la coopérative installe 12 000 microparcelles chez ses adhérents et suit 400 fermes avec des essais en grandes bandes. Ce réseau permet une évaluation multiscalaire des solutions. « Ce n’est pas parce qu’une technique fonctionne à Amiens qu’elle est transposable à Chartres, constate Marie Le Neouanic, responsable agronomie chez NatUp. Il faut combiner, ajuster, prouver sur chaque territoire et dans la durée. »

Dans ce cas, NatUp mise sur les groupes de progrès, organisés par zone agricole. En quatre ans, leur nombre est passé de 3 à plus de 15. « On accompagne les agriculteurs dans la méthode, mais ce sont eux qui mettent en place les nouveaux itinéraires, insiste l’agronome. Dès lors, seules les conditions réelles de travail permettent d’évaluer concrètement l’efficacité et l’appropriation des leviers. » D’autres critères, non agronomiques sont également à prendre en compte : le temps de travail restreint et la délégation des travaux aux salariés. « Il faut aussi persuader l’applicateur », témoigne-t-elle.

Une boîte à outils déjà bien garnie

Côté fournisseurs, Joëlle Sfeir, directrice commerce et développement chez UPL et administratrice de Phyteis estime que la boîte à outils est bien fournie. De plus, les entreprises adhérentes de Phyteis investissent pour produire des preuves solides avec des données concrètes issues d’essais. D’ailleurs, les structures organisent leurs équipes afin qu’elles apportent une vision globale par culture. « Ce fonctionnement croisé entre le marketing, le commerce, le réglementaire et le développement permet d’intégrer toutes les facettes d’une solution », partage-t-elle en s’appuyant sur l’expérience de son entreprise UPL.

Chez les distributeurs, une telle dynamique autour d’une pluralité de solutions renforce la valeur du conseil. Elle ouvre aussi de nouveaux modèles économiques, en intégrant les services, les outils digitaux, les biosolutions et les pratiques innovantes.

Freins culturels et organisationnels pour combiner les solutions

Malgré cet élan, les freins persistent. D’abord, ils sont d’ordre culturel. « Cela nécessite de faire le deuil de la logique « un problème, une solution », insiste Joëlle Sfeir. En effet, le combinatoire oblige à anticiper et à croiser les leviers. « Il faut du temps, de la méthode, de la confiance », ajoute-t-elle.

Joëlle Sfeir observe également des difficultés de coordination au sein des structures de distribution agricole. « Quand une technique associe biosolutions, produits phytopharmaceutiques et outils digitaux, il devient difficile de savoir à qui parler. En effet, chaque gamme possède souvent son propre responsable. » Par conséquent, le déploiement de programmes combinés se heurte à un manque de clarté décisionnelle.

Ensuite, d’autres limites proviennent du terrain. Par exemple, Marie Le Neouanic évoque les paradoxes liés au changement climatique. « Décaler un semis, c’est un bon levier pour réduire les adventices. Mais, dans certains territoires, cela expose à des pertes de rendement importantes ». Dans ce cas, la fin de cycle peut manquer d’eau. « Les agriculteurs, logiquement, préfèrent ne pas prendre ce risque », constate-t-elle. Là encore, le combinatoire ne peut pas reposer sur des recettes figées.

Elaborer des diagnostics d’exploitation agricole individualisés

Comment alors mieux accompagner le déploiement de l’approche combinatoire de la protection des cultures sur le terrain ? « Comme une prise de sang, un diagnostic agroécologique permet de savoir précisément où on en est », répond l’agronome de NatUp. Ensuite, sur cette base, les techniciens élaborent les itinéraires techniques individualisés. La coopérative mise sur la formation de ses équipes. En quatre ans, 70 technico-commerciaux ont suivi un parcours certifiant de 20 jours dédié à l’agroécologie et créé avec l’Institut polytechnique UniLasalle. « C’est structurant pour porter le changement. »

Le numérique est également un bon appui. D’ailleurs, NatUp travaille sur la création de bases fiables, capables de générer des résultats cohérents. Cette démarche nécessite des compétences spécifiques. À terme, l’intelligence artificielle pourrait faciliter l’élaboration d’itinéraires combinés et adaptés à chaque exploitation agricole.

Mobilisation collective pour déployer les méthodes combinatoires sur le terrain

La démonstration de l’efficacité d’une association de techniques et des innovations doit s’appuyer sur davantage de partenariats. « Les instituts techniques peuvent apporter leur caution. On a besoin de plus d’essais en conditions réelles et de données validées », témoigne Joelle Sfeir.

Aussi, les deux intervenantes appellent à une mobilisation collective pour que la France et l’Europe conservent leur souveraineté alimentaire. « L’agriculteur ne peut pas porter seul la prise de risque. Il faut co-investir, co-expérimenter, co-construire », rappelle Marie Le Neouanic. La mise en commun des équipements onéreux constitue un axe de travail.

Elle cite également le programme Covalo (coopération-valorisation). Lancé en 2024 avec l’association Pour une agriculture du vivant, il teste des modèles économiques de la transition à l’échelle des territoires.

En définitive, un nouveau pacte agricole se met progressivement en place sur le terrain. « En tant qu’agronome, je trouve cela génial. C’est complexe, exigeant, mais profondément humain. Et c’est ce qui rendra l’agriculture plus résiliente demain », conclut Marie Le Neouanic.