Combiner les techniques culturales améliore l’efficacité du désherbage
Le désherbage reposant exclusivement sur des herbicides n’est plus satisfaisant dans toutes les situations. Les stratégies actuelles démontrent pleinement les avantages d’une combinaison des techniques culturales de désherbage en grandes cultures.
Un désherbage réussi est souvent une étape primordiale pour le succès de nombreuses cultures. Depuis la fin des années 90, les agriculteurs font face à une pression croissante d’adventices dans les parcelles de grandes cultures. Cette situation découle notamment de l’apparition de graminées et dicotylédones résistantes aux différentes familles d’herbicides.
Par ailleurs, la présence de plus en plus fréquente, même à l’état de traces, de résidus d’herbicides dans les ressources en eau, participe à l’évolution des recommandations d’emploi dans les aires d’alimentation de captage. Le défi est de concilier efficacité du désherbage et protection de l’environnement de façon pérenne.
En effet, la réduction du nombre de produits très efficaces et l’utilisation répétée d’un même mode d’action entraînent progressivement le développement des populations d’adventices résistantes.
Aujourd’hui, cette perte d’efficacité touche les familles chimiques comme les inhibiteurs de l’ACCase ou de l’ALS. Deux graminées arrivent fréquemment à contourner ces modes d’action : le vulpin et le ray-grass. Dans certaines régions, en dénombrer jusqu’à 2 000 pieds/m² dans un blé n’a rien d’un cas isolé ! Des dicotylédones comme le coquelicot, le séneçon et la matricaire peuvent aussi développer des résistances aux herbicides ALS. Dans de telles situations, les agriculteurs n’arrivent plus à maintenir la population d’adventices en dessous des seuils de nuisibilité pour la culture. Ce seuil correspond au nombre d’adventices par m² entraînant une perte de rendement supérieure à 5 %. Le retrait de certaines substances actives encore efficaces accentuera ce phénomène.
Le désherbage se raisonne à l’échelle de la rotation
À partir du milieu des années 2000, de nouveaux itinéraires techniques sont mis en œuvre. À la manœuvre, les instituts techniques, l’écosystème du conseil et de la distribution agricole, les entreprises de protection des cultures et des agriculteurs. Collectivement, ils expérimentent d’autres stratégies, changent d’échelle. Dès lors, le désherbage ne se raisonne plus uniquement au niveau de la culture ou de la parcelle mais de la rotation ou de l’exploitation. Le bénéfice est double. D’une part, il préserve les rendements ainsi que la qualité sanitaire de la culture en place. D’autre part, il réduit durablement le stock de graines adventices dans le sol.
« Seule une combinaison de techniques et de méthodes culturales agit sur ce réservoir, indique Ronan Vigouroux, responsable agriculture durable et environnement chez Phyteis. Ainsi, le désherbage durable associe de l’agronomie au désherbage mécanique et à la protection herbicide. » Plus récemment, l’accélération du retrait de substances actives herbicides en Europe complique la construction des programmes herbicides.
Travailler autrement le sol, décaler les semis
Le premier outil de travail pour désherber, c’est le sol ! Puisqu’il constitue le réservoir des graines d’adventices, mieux vaut chercher à limiter les conditions favorables à leur germination.
Avec un labour tous les trois à quatre ans pour enfouir les graines et un faux semis pour faire lever celles qui sont en surface, le résultat se voit rapidement. Conséquence, la population de vulpins baisse au moins de moitié.
D’autres pratiques renforcent la gestion des adventices. L’une d’entre elles consiste à décaler de 15 jours la date de semis des céréales à pailles. La préparation du sol au semis détruit mécaniquement les adventices qui auront eu le temps de lever avant. De surcroît, en diversifiant les rotations culturales avec l’alternance de cultures d’hiver et cultures de printemps par exemple, les espèces étroitement associées à certaines cultures voient leur développement freiné. L’implantation d’une culture de printemps a un fort impact sur les levées d’adventices d’automne. Celles-ci sont détruites mécaniquement lors des travaux préparatoires au semis.
Désherbage mécanique et couverts végétaux
Le désherbage mécanique, efficace lorsqu’il bénéficie de conditions climatiques favorables, constitue un allié précieux. Par exemple, la herse étrille élimine les jeunes plantules en les arrachant et en cassant leurs filaments. Ces derniers se dessèchent sous l’effet du soleil. La bineuse, quant à elle, s’avère particulièrement performante pour intervenir entre les rangs des cultures à grands écartements, comme le maïs ou les betteraves. Désormais, il est même possible de biner l’espace sur le rang entre deux plantes cultivées.
Parallèlement, des solutions génétiques, telles que le développement de variétés à fort pouvoir couvrant, offrent des perspectives intéressantes.
Augmenter la densité des semis ou implanter des couverts végétaux étouffants limitent également le développement des adventices. Les plantes compagnes, qui occupent l’espace, sont intéressantes à utiliser. En outre, elles apportent de nombreux effets agronomiques et environnementaux positifs. Elles protègent les sols, limitent le ruissellement et l’érosion, les restructurent avec leurs racines. Enfin, elles augmentent la restitution de biomasse pour améliorer la fertilité.
Cependant, l’efficacité de ces différents couverts végétaux dépend fortement de l’environnement pédoclimatique et des autres pratiques agronomiques. Leur conduite culturale requiert un bon niveau de technicité.
Rôle de l’adjuvantation
Gagner en efficacité via l’adjuvantation est intéressant. En effet, elle améliore la pénétration des antigraminées foliaires, optimise la rétention ainsi que l’étalement sur la cible et réduit les pertes au sol. En condition d’humidité du sol limitante, l’adjuvantation facilite l’absorption des herbicides racinaires. Elle les maintient sous une forme soluble assimilable par les adventices.
« En combinant tout ou partie de ces techniques pour désherber, on dépasse les 90 % d’efficacité, pour des pressions d’adventices moyennes, souligne Ronan Vigouroux. Toutefois, c’est un travail de longue haleine. Il est indispensable d’avoir une stratégie pluriannuelle, à l’échelle de la rotation. »
Le principal enseignement ? « Aucune des pratiques employées seules, agronomiques, mécaniques ou chimiques ne fournit un résultat pleinement satisfaisant », ajoute-t-il.
Se passer du désherbage chimique ?
C’est pourquoi, tirer un trait sur les herbicides n’est pas la solution. Ils viennent en complément des autres techniques pour approcher 100 % d’efficacité.
Quant aux familles chimiques, elles s’utilisent à bon escient en fonction de la flore dominante et de l’historique du désherbage. Pour éviter les résistances, l’alternance et la combinaison des modes d’action à l’échelle de la rotation est nécessaire. Enfin, la sensibilité des adventices entre aussi en ligne de compte.
« Les situations sont très liées à la parcelle, la réponse unique n’existe pas, témoigne Ronan Vigouroux. On peut avoir 30 % de la population d’adventices résistances aux familles chimiques ALS et ACCase. Néanmoins, leur emploi aide toujours à réduire le stock de semences en complément de l’agronomie. En revanche, lorsque 100 % de la population est résistante, alors il faut s’appuyer sur d’autres familles chimiques. »
Par ailleurs, des cultures comme la betterave et le maïs sont très sensibles à la concurrence des adventices en début de leur cycle. Difficile dans ce cas, de se passer de désherbage chimique.
Combinaison de techniques culturales de désherbage en grandes cultures et protection de la ressource en eau
Pour mieux protéger la ressource en eau, les rotations sur les aires d’alimentation de captage peuvent être adaptées. Elles visent une diminution de la quantité de substances actives apportées par unité de surface et de temps.
Par exemple, cela peut passer par une généralisation de l’utilisation de couverts végétaux étouffants.
Pour aller encore plus loin, la réponse se trouve du côté du matériel. Ainsi, la combinaison de traitement sur le rang et de travail du sol en inter-rang se développe fortement pour les cultures à écartement large. Les adventices se maintiennent sur une surface de plus en plus faible. En outre, la localisation précise des désherbants limite la quantité appliquée à l’hectare sans affecter l’efficacité.
Atteindre ces objectifs environnementaux exige des techniques avancées : pulvérisateurs de précision, robots agricoles, et systèmes réduisant la dérive de pulvérisation.
Une diminution de la dérive de 90 % est atteignable avec des buses performantes reconnues par le ministère de l’agriculture. L’adjuvantation réduit encore le potentiel de dérive, de même que le maintien ou l’installation de haies.
De plus, grâce à des caméras et l’analyse d’images, il est possible de cibler certaines adventices une à une. Dès lors, leur élimination s’effectue par une pulvérisation de haute précision, une action mécanique, une décharge électrique ou bien un rayon laser.
« Certaines de ces technologies étant en phase de développement, nous devons préserver les solutions chimiques actuelles », conclut Ronan Vigouroux.
C’est bien une combinaison de techniques qui permet aux agriculteurs de continuer à maîtriser les adventices tout en réduisant l’impact des pratiques sur l’environnement.