Protection des cultures : structurer ensemble l’approche combinatoire au champ

Pour protéger les cultures, la combinaison de solutions ne fait plus débat : elle s’impose comme la voie d’avenir. Lors de Phyteis Campus, experts et acteurs de terrain appellent à organiser son déploiement pour assurer la sécurité alimentaire et la résilience agricole.
Le thème de la journée Phyteis Campus, organisée le 13 mai à Paris – « Du champ à l’avenir » – reflète une conviction partagée au sein des filières et des pouvoirs publics. Dans une Europe bousculée par les crises géopolitiques et économiques, l’agriculture retrouve son statut prioritaire.
L’évolution du vocabulaire en témoigne. « Avec les guerres, on reparle de sécurité alimentaire », alerte Quentin Le Guillous, secrétaire général de Jeunes Agriculteurs. Cette sécurité devient l’un des trois piliers de l’autonomie européenne, aux côtés de la défense militaire et de la souveraineté technologique.
Face à cet objectif, Yves Picquet, président de Phyteis, défend une seule ligne pour l’agriculture, celle de la triple performance économique, environnementale et alimentaire. « Sans cette base solide, aucun projet ne tient, estime-t-il. Il ne s’agit pas de choisir entre produire ou protéger, mais de faire les deux. » L’approche combinatoire de la protection des cultures prend alors tout son sens.
L’approche combinatoire de la protection des cultures doit être la priorité politique
L’efficacité de cette combinaison de leviers – agronomie, biocontrôle, génétique, numérique et chimique – ne fait plus débat. « Cependant, elle reste le parent pauvre des politiques agricoles face à des leviers plus visibles », regrette Yves Picquet, faisant allusion aux objectifs chiffrés du Plan Ecophyto. Pourtant, elle seule allie la réduction des intrants au maintien des rendements.
Même constat chez Quentin Le Guillous, qui rejette toute lecture dogmatique. « Montrons toutes les solutions aux jeunes : bio, conventionnel, robotique, nouvelles techniques génomiques. Il n’y a pas une voie, mais un ensemble de réponses à combiner. » Il plaide pour une production agricole nationale forte et diversifiée, également pour une stratégie européenne plus cohérente. « Certains pays sont meilleurs pour certaines cultures. Face au changement climatique et aux aléas des marchés, seul le pragmatisme nous permettra d’avancer. »
Yves Picquet (Phyteis) et Quentin Le Guillous (Jeunes Agriculteurs) appellent à une agriculture pragmatique et ambitieuse, qui s’appuie sur la complémentarité des solutions de protection des cultures pour garantir la sécurité alimentaire de l’Europe.
À Bruxelles, les lignes doivent bouger face au malaise agricole
Ce pragmatisme gagne peu à peu les politiques européennes. Tout part d’un constat sévère : 82 substances actives ont disparu en cinq ans, dont 78 en conventionnel. Résultat, de nombreuses cultures se retrouvent en impasse technique.
« Enfin, la Commission reconnaît que l’assemblage de solutions est la seule voie pour sécuriser la production agricole », observe Olivier De Matos, directeur général de CropLife Europe. Une nouvelle logique s’installe : remplacer la réduction des usages par l’exigence d’utilisation d’alternatives efficaces.
En outre, le règlement SUR, très contesté, semble écarté. Les initiatives deviennent plus ciblées : simplification réglementaire, soutien à l’innovation…
D’ailleurs, une enquête Ipsos-CropLife Europe révèle que 57 % des agriculteurs européens attendent en priorité un cadre réglementaire plus simple. Un tiers souhaite un soutien à l’innovation. Mais, 87 % réclament des aides plus justes. Signe du malaise : un agriculteur sur cinq envisage d’arrêter d’ici à cinq ans. En cause, des revenus jugés insuffisants pour assurer la pérennité de l’exploitation par 69 % des sondés.
Autre indicateur d’une ouverture politique : CropLife Europe siège désormais au Conseil européen pour l’agriculture et l’alimentation (EBAF) aux côtés de 30 membres. « Le commissaire à l’agriculture, Christophe Hansen, préside ce Conseil, c’est une première », relève Olivier De Matos. Il salue également l’écoute de ce haut responsable.
En France, Ronan Goff, vice-président de Phyteis, constate également une évolution du regard mais du côté des filières. « Auprès d’elles, nous retrouvons une certaine légitimité concernant notre expertise technique, nos connaissances réglementaires et notre capacité d’innovation. » Mieux structurées, elles prennent désormais part au débat avec les pouvoirs publics.
Mieux prendre en compte le combinatoire dans l’évaluation d’un produit
Reste que les innovations – biosolutions, molécules de synthèse ou outils numériques – doivent arriver jusqu’aux fermes. Yves Picquet insiste sur la nécessité de clarifier les processus d’évaluation des produits afin d’en finir avec les écarts entre pays. Ces différences génèrent des distorsions de concurrence. Cependant, il avertit : « Contester les autorisations de mise sur le marché (AMM) devant les tribunaux compromet l’équilibre du système d’évaluation. » Par ailleurs, il rappelle le soutien des industriels à « une Anses forte, indépendante, qui garantisse une utilisation optimale des produits de protection des cultures pour tous les acteurs ».
Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée en charge du pôle des produits réglementés au sein de l’Anses, signale la complexité du système d’autorisation. « Entre l’identification d’une substance d’intérêt et la mise sur le marché d’un produit, il faut dix ans environ, dont la plus grande partie du délai porte sur la constitution du dossier de la substance active et sur l’approbation européenne de celle-ci. » Cependant, l’agence donne la priorité au biocontrôle, avec une taxe réduite et des délais d’examens des produits sous un an, « à condition que le dossier soit complet ». Mais, sans ajustement du cadre européen, ces efforts spécifiquement français s’avèrent être limités.
Anne Azam, vice-présidente de Phyteis, juge essentiel d’établir une définition claire du biocontrôle au niveau européen comme c’est le cas en France. De plus, elle note que les contenus des dossiers et les critères d’évaluation ne correspondent pas encore à la logique combinatoire. Ils s’adressent surtout aux produits phytopharmaceutiques. Ce que confirme la représentante de l’Anses, en soulignant la nécessité d’ouvrir l’évaluation à de nouveaux indicateurs, notamment en matière d’efficacité. « Par exemple, pour un biocontrôle, il faudrait parfois accepter une efficacité partielle dans certaines conditions, tout en valorisant un effet global dans un programme associant des solutions mais la législation fixe pour l’heure une garantie d’efficacité au regard des revendications des demandes », précise-t-elle.
Charlotte Grastilleur évoque des échanges récents avec la Commission européenne, qui montrent une volonté de faire évoluer la réglementation.
Déploiement grâce à la preuve d’efficacité sur le terrain
Sur le terrain, le déploiement des méthodes combinées avec notamment le recours au biocontrôle reste inégal. Marie Le Néouanic, responsable agronomie pour la coopérative normande NatUp, l’estime bien adopté sur certaines cultures en protection contre les maladies par exemple, plus marginal dans d’autres cas. Elle fait ressortir la variabilité des situations pédo-climatiques. « Ce n’est pas parce qu’une solution fonctionne à Amiens qu’elle marchera à Chartres. Il faut prouver l’efficacité de l’itinéraire technique sur chaque territoire. » Aussi, la coopérative suit 12 000 microparcelles et 400 fermes en bandes d’essai. De plus, elle accompagne quinze groupes de progrès qui rassemblent des agriculteurs pionniers. Enfin, les techniciens maîtrisent les pratiques agroécologiques suite à une formation à l’institut UniLasalle Beauvais. La réussite de ce changement de pratique repose également sur la réalisation d’un diagnostic d’exploitation. « En définitive, ce sont les conditions de travail des agriculteurs qui valident ou non les leviers mis en place », prévient-elle.
Joëlle Sfeir, administratrice de Phyteis, considère que la boîte à outils est prête. Encore faut-il la manier de façon cohérente. Aussi, sa bonne utilisation suppose une approche décloisonnée de la part des fournisseurs. Pour y parvenir, au sein de chaque entreprise, les équipes du développement, du marketing, du commerce et du réglementaire travaillent ensemble. Cependant, sur le terrain, elle identifie deux obstacles majeurs : une culture technique encore trop binaire avec le réflexe « une problématique – une solution » et un manque de coordination au sein des filières. « Certains acteurs doivent structurer leur organisation pour mieux accompagner cette complexité », recommande-t-elle.
Le collectif comme moteur de transition
Et qu’en est-il de la perception des jeunes ? Quentin Le Guillous observe une génération curieuse, souvent venue d’autres horizons, aussi désireuse d’expérimenter de nouveaux itinéraires techniques.
Malgré tout, le représentant de Jeunes Agriculteurs mentionne des charges mécaniques croissantes, qui rendent la mutualisation des agroéquipements indispensable. Avis que partage Marie Le Néouanic : « L’agriculteur ne peut pas porter seul la prise de risque. Il faut co-investir, co-expérimenter, co-construire. »
Ce qui implique aussi de mieux sensibiliser les citoyens aux multiples enjeux agricoles, la perte de confiance conduisant à la judiciarisation. Pour Timothée Dufour, avocat, sécuriser l’innovation agricole passe par des exemples concrets et une communication claire. Il évoque les moyens importants désormais mobilisés et l’action concertée des filières, pour mieux toucher le grand public. Phyteis s’inscrit dans cette voie.
En conclusion, Yves Picquet, estime que toutes les solutions techniques répondant à la triple performance agricole sont obligatoires. Il appelle à transformer collectivement l’essai. Du champ à l’avenir…