Partager ce contenu
Phyteis

Au Château La Rivière, le climat transforme la protection de la vigne

Tension climatique sur le vignoble Bordelais et forte pression des bioagresseurs, dont le mildiou ! Face à l’imprévisible, la diversité des solutions de protection, l’expérimentation et l’adaptation sont la règle au Château La Rivière.

Des cigales dans les vignes du Bordelais ? Au Château La Rivière, situé au cœur de l’appellation Fronsac dans le Bordelais, Xavier Buffo ne cache ni son étonnement ni son inquiétude. « Les cigales, ici, c’était effectivement impensable, il y a encore 15 ans, raconte-t-il. Désormais, en été, je les entends chanter dès que j’arrive au domaine. » Toutefois, pour ce directeur général, en poste depuis presque trois décennies, ce signal sonore résume à lui seul la nouvelle donne climatique.

Mais, les cigales ne sont que la face sympathique de cette évolution. Si elles sont là, d’autres bioagresseurs gagnent aussi du terrain. « On voit bien que le changement climatique agit comme un accélérateur de la pression des ravageurs et des maladies », observe-t-il. Tout en identifiant un second levier : « En parallèle, nous avons aussi baissé la quantité d’insecticides, ce qui est une bonne chose. Par conséquent, d’autres équilibres naturels s’installent. »

Retour en force des bioagresseurs avec le changement climatique

De plus, les vers de la grappe, absents il y a 25 ans, deviennent une menace saisonnière. « En 2022, la pression était énorme. J’ai dû compléter la confusion sexuelle que nous pratiquons depuis 2014 par deux traitements insecticides. » Certaines zones du domaine proches des bois sont plus sensibles que d’autres. Alors, il s’adapte, parcelle par parcelle.

Puis, il y a les « nouveaux ». Le cigarier, un petit scarabée lui aussi originaire du sud et qui enroule les feuilles, fait partie des habitués. « Je l’ai vu apparaître en 2005, se souvient Xavier Buffo. Une de mes parcelles en était infestée à 100 %. » D’abord tenté de traiter, il laisse faire. « Aujourd’hui, la régulation naturelle semble fonctionner. Mais, à nouveau, cela montre bien que les frontières biologiques bougent. »

Épisodes tropicaux plutôt que méditerranéens !

Le climat plus chaud et sec, signe de la présence des insectes méditerranéens, ne pourrait-il pas contrarier les pathogènes locaux ? Moins d’eau, donc moins de mildiou et moins de botrytis ? En apparence seulement ! « Nous sommes quand même sur la façade Atlantique », rappelle Xavier Buffo. En réalité, ce serait même l’effet inverse avec des années records en termes de pluviométrie. « Nous avons eu 1 400 mm d’eau en 2024 alors que la moyenne se situe autour de 800 mm », rapporte-t-il. Chaleur et pluie forment alors un cocktail détonant. Résultat, le mildiou émerge plus tôt, dès avril, et s’avère bien plus virulent. Quant au botrytis, il sévit en fin de cycle alors qu’il perdait de la vitesse jusqu’à ces cinq dernières années.

« L’année 2024 reste tout de même celle de tous les extrêmes, témoigne le directeur du Château La Rivière. La vigne a été en plus choquée par de la grêle en juin. On a perdu 40 % de notre récolte. Sur certaines parcelles, c’est même 80 % de pertes. Du jamais vu en 30 ans ! »

Révision de la stratégie contre le mildiou

Face au mildiou, qui reste l’ennemi numéro un dans le bordelais, sa stratégie évolue. « Avant, on attendait les premières contaminations, puis on traitait. C’était la lutte raisonnée recommandée par Inrae. Aujourd’hui, une telle approche est intenable. En effet, si on n’intervient pas tôt en avril, la maladie s’installe. Dès lors, elle devient difficile à maîtriser. »

Ce virage s’opère en 2018, année noire pour le mildiou au cours de laquelle les programmes à vue ont décroché. « Avec mon directeur technique, nous avons dû oublier tout ce que nous avions appris. À présent, dès début avril, le pulvérisateur est prêt à sortir. En 2023, aussi une année de très forte pression, cela nous a sauvé ! »

Le changement concerne également le regard qu’il porte sur le métier : « Maintenant, on tolère les taches de mildiou. Il y a 25 ans, c’était inacceptable dans un vignoble bordelais ».

Pour Xavier Buffo, directeur général du Château La Rivière : « Traiter la vigne ne se résume pas au choix du produit. Il faut aussi considérer l’impact global en lien avec le nombre de passages : consommation de gazole, tassement des sols, coût économique et, finalement, l’efficacité réelle du programme ».  

Combinaison des méthodes de lutte contre les bioagresseurs

Contre tous les bioagresseurs et face au changement climatique, Xavier Buffo travaille avec une logique de protection combinatoire. « S’appuyer sur une seule molécule n’est plus possible. Il faut croiser les solutions, adapter selon la pression des bioagresseurs », partage-t-il. Produits phytopharmaceutiques, biocontrôles, positionnement des traitements : les outils numériques guident et sécurisent ses décisions.

En outre, il expérimente depuis trois ans des solutions de biocontrôle en partenariat avec des sociétés phytopharmaceutiques. Par exemple, l’un d’entre eux, à base de levures, a été testé pendant deux ans contre le mildiou. « Comme il apporte des résultats convaincants, nous l’appliquons depuis 2024 sur toute la propriété. Ainsi, nous baissons les IFT* sans prendre de risque. C’est l’avenir », estime-t-il.

Cependant, quand la pression est trop forte, Xavier Buffo ne s’interdit pas les produits avec un profil écotoxicologique CMR. Ils sont comme un ultime recours. « En 2024, j’en ai utilisé deux fois, au moment clé autour de la fleur. C’était nécessaire pour sauver ce qui pouvait l’être. »

En définitive, pour Xavier Buffo, l’important est de ne jamais s’enfermer. « Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Le climat rend tout imprévisible. De fait, il faut avoir plusieurs cartes en main. » Son message est clair : « Ce vignoble est une entreprise. Je dois produire du vin, le vendre, faire vivre mes salariés. Pour cela, il me faut des outils. »

Lorsqu’on lui demande qu’elle serait la meilleure stratégie de protection pour demain ? Il répond sans hésiter : « Connaître toutes les solutions disponibles, les tester, et garder la liberté de choisir. »

Vendanges 2015

© Château La Rivière

L’évolution de climat a aussi un impact sur le développement de la vigne : débourrement plus précoce, vendanges plus tôt en saison. »

001 - Vue Château de La Rivière - Copyright Patrick Durand

© Patrick Durand

En plus des 68 ha de vignes, le Château de La Rivière comprend 30 ha de zones boisées, 1 000 m de haies, 10 ha de praires et 1,5 km de fossés et cours d’eau.

Le Château La Rivière  

Le château La Rivière exploite 68 hectares de vignes sur un terroir argilo-calcaire tardif, en appellation Fronsac. Majoritairement planté en merlot, le vignoble produit à plus de 90 % des vins rouges. Un peu de blanc, de rosé et de crémant complètent la gamme. Les ventes se répartissent entre le marché français (60 %, dont 50 % en grande distribution) et l’export (40 %), avec des débouchés en Europe, au Canada et en Asie. Engagé dans la certification Haute valeur environnementale depuis 2012, il est même la 8e exploitation agricole française à avoir obtenu cette reconnaissance.

Pour en savoir plus, consultez la fiche Engagés pour nos cultures sur la vigne

*IFT : Indice de fréquence de traitement