Édition du génome et changement climatique, des variétés adaptées à tester
Rapide et précise, l’édition du génome révolutionne la recherche variétale. Cette technique apporte des solutions concrètes contre le changement climatique qui a un impact sur la santé des plantes et leur rendement. Exemples.
Le changement climatique redéfinit les priorités de la recherche variétale. En effet, les cultures doivent non seulement affronter des aléas imprévisibles dans un environnement de réchauffement, mais aussi résister à de nouveaux bioagresseurs. Comment alors combiner robustesse, rendement, qualité et tolérance aux pathogènes et ravageurs ?
Cédric Riboulet gère un programme de sélection de maïs grain précoce chez Corteva pour le nord de l’Europe, « de Brest à Kiev », comme il aime le souligner.
Son expertise en génétique le place au cœur des avancées sur les nouvelles techniques de sélection. « J’ai une forte appétence pour les technologies d’édition du génome, partage-t-il. Grâce aux ciseaux moléculaires Crispr-Cas9, on intervient directement et avec précision sur un gène d’intérêt. Ce dernier peut répondre à un besoin de l’agriculteur, environnemental ou de la société civile. On va aussi plus vite. En effet, pour améliorer une vigne, il faut actuellement 30 ans, un maïs, sept ans. Avec Crispr-Cas9, quelques mois suffisent si le gène impliqué est connu. Au total, cet outil réduirait d’environ 30 % le temps nécessaire, essentiellement lors des premières années de sélection dédiées à la création variétale. »
En revanche, le temps de l’évaluation en parcelles demeure essentiel. Il permet de s’assurer des performances de ces nouvelles variétés sur plusieurs années.
Édition du génome et changement climatique : garantir la stabilité des cultures en toutes situations
Face aux aléas climatiques qu’affrontent les agriculteurs, la sélection variétale ne vise plus uniquement le rendement. La stabilité agronomique devient un critère très important. « Mon travail consiste de plus en plus à sécuriser le revenu des agriculteurs, indique Cédric Riboulet. Par exemple, une variété résistante à la sécheresse doit être performante en année sèche mais aussi en année humide. » De plus, les variétés développées seront aussi résistantes contre un maximum de bioagresseurs pour limiter l’usage de produits phytopharmaceutiques et répondre aux demandes sociétales.
Ainsi, des recherches sur la tolérance à la sécheresse du maïs explorent actuellement le contrôle du gène de production d’éthylène et de l’auxine. Toutefois, ces hormones orchestrent plusieurs fonctions vitales pour la croissance, le développement et la réponse aux stress chez les plantes. Elles nécessitent donc une régulation fine afin d’assurer un rendement constant, autant en année de sécheresse qu’en année humide. À ce niveau de précision, les NGT associées aux méthodes de sélection classique offrent une alternative efficace.
Chez le riz, ce sont des gènes de régulation de l’ouverture des stomates qui sont à l’étude ou encore ceux qui contrôlent l’enroulement des feuilles. Cependant, trouver un équilibre entre tolérance à la sécheresse et rendement reste un défi. En définitive, c’est la fréquence des épisodes climatiques extrêmes qui influencera l’adoption de ces nouvelles variétés par les agriculteurs.
Édition du génome et changement climatique : davantage de solutions étudiées !
Le maïs à taille réduite incarne aussi cette approche innovante. Face aux tempêtes de plus en plus fréquentes, deux entreprises adhérentes de Phyteis développent des variétés trapues. La tige, plus courte de 30 à 40 %, diminue la vulnérabilité de la plante au vent.
Autre exemple, celui concernant une meilleure adaptation du soja au climat européen, une légumineuse aujourd’hui largement importée du Brésil. Cette avancée renforcerait l’indépendance de l’Europe en protéines végétales en assurant une production locale. « Désormais, grâce à une modification de ses gènes de floraison, le soja pourrait se cultiver de façon plus importante au nord de la France », explique Cédric Riboulet.
Un autre projet cible le métabolisme du tournesol. L’objectif est d’améliorer son efficience en eau en agissant sur son processus de photosynthèse. Les NGT permettent d’ajouter un « turbo métabolique » afin de produire plus de biomasse avec la même quantité d’eau.
Enfin, des recherches s’attaquent directement aux émissions de GES que génèrent certaines cultures. Une équipe suédoise montre qu’en modifiant deux gènes de la racine du riz par Crispr-Cas9, les exsudats racinaires changent. En conséquence, les interactions avec le microbiote du sol évoluent, réduisant la production de méthane dans les rizières inondées. « Ce projet, bien que principalement destiné à l’Asie, illustre la diversité des solutions qu’offre la recherche pour relever les défis climatiques », souligne Cédric Riboulet.
Combiner les critères de tolérance aux bioagresseurs, qualité et robustesse
Si l’édition du génome appliquée aux stress abiotiques demeure essentiellement au stade de R&D, son utilisation pour les facteurs biotiques progresse davantage. En effet, l’acquisition de résistances repose parfois sur de simples modifications génétiques ciblées.
Un maïs stable, performant et tolérant à la fusariose ? C’est possible !
Une betterave tolérante à la cercosporiose, résistante aux virus de la jaunisse et aux piqures des pucerons ? Elle est également au programme des semenciers.
Un cépage pourrait même être tolérant aux principales maladies de la vigne, aux coups de chaud et conserver les critères qualitatifs que requiert une appellation.
« Dans un futur proche, l’intelligence artificielle jouera un rôle clé dans l’élaboration de ces variétés, précise Cédric Riboulet. Grâce à l’analyse de bases de données gigantesques sur les gènes et sur les conditions pédoclimatiques, l’IA peut aider à prédire les performances génétiques. Ainsi, le numérique accompagne le sélectionneur dans ses choix de variétés adaptées au réchauffement climatique. »
Le chercheur voit donc dans l’édition du génome une opportunité majeure pour relever simultanément les défis du changement climatique et de la protection des cultures. « Ce qui est paradoxal, c’est que je peux donner de plus en plus d’exemples concrets… Pourtant, nous n’avons toujours pas le droit de les tester en plein champ ! », conclut-il.
Pendant ce temps, d’autres régions du monde délivrent des autorisations de mise sur le marché. En France comme ailleurs en Europe, des variétés pourraient être disponibles pour les agriculteurs d’ici à une dizaine d’années… À condition que l’UE parvienne très rapidement à élaborer une réglementation pragmatique avec un texte clair et opérationnel.
Cédric Riboulet, sélectionneur de maïs chez Corteva : « Crispr-Cas 9 est un outil puissant pour répondre aux enjeux économiques, sociétaux et environnementaux ».
Qu’apporte l’édition du génome par rapport à la sélection variétale avec rétrocroisement ?
L’amélioration variétale par rétrocroisement consiste à transmettre un gène d’intérêt (comme une résistance) d’une variété donneuse à une variété élite receveuse. Cette technique nécessite des croisements avec la lignée receveuse sur plusieurs années.
Elle demande également l’utilisation de marqueurs moléculaires. Enfin, la lignée finale contient toujours des « traces » de la variété donneuse, ce qui peut avoir un impact sur ses performances comme le rendement.
En revanche, la technologie Crispr-Cas9 cible précisément et modifie en quelques mois un ou plusieurs gènes d’intérêt. Ceci s’effectue sans altérer le reste du génome. Ainsi, cette méthode garantit la conservation des performances de la variété élite originale, tout en intégrant, par exemple, la résistance souhaitée.
Toutefois, avant de pouvoir utiliser Crispr-Cas9, un travail fondamental de génomique classique et exploratoire est nécessaire. Cette phase demande un effort considérable de la part des acteurs publics (Inrae, CNRS et universités) et privés pour identifier les gènes d’intérêts.