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Phyteis

Contre la résistance des bioagresseurs, un parcours d’obstacles s’impose !

Face à la résistance des bioagresseurs aux méthodes de lutte, la meilleure des stratégies consiste à combiner les techniques, alterner les modes d’action des produits phytopharmaceutiques et innover.    

Contrairement aux idées reçues, la résistance d’un bioagresseur à un produit phytopharmaceutique est un phénomène naturel. Une petite proportion d’individus nuisibles possède toujours une tolérance génétique à un mode d’action.

Dans ce cas, ces individus survivent, se reproduisent et transmettent leurs caractéristiques. En quelques générations, une population résistante émerge. Plus la pression de sélection de ces individus devient forte, plus le processus s’accélère. Or, certains usages disposent d’une gamme restreinte de produits phytopharmaceutiques, accentuant le risque de perte d’efficacité sur ceux qui restent autorisés.

D’ailleurs, les mécanismes de résistance concernent d’autres techniques. Pour survivre, un organisme vivant recherche toujours une façon de contourner un obstacle. Les filets de plus de 4 m de haut qui entourent les parcelles de cerisiers n’arrêtent pas complètement Drosophila Suzukii. Pourtant, cette mouche vole normalement à plus basse altitude ! Quelques cyprès aux alentours pour lui servir de tremplin et le tour est joué !

Créer un environnement hostile aux bioagresseurs

En multipliant les obstacles, en rendant le milieu inhospitalier, alors la stratégie de protection se révèle payante. « C’est l’un des bénéfices de la combinaison de techniques et de méthodes de protection des cultures », indique Ronan Vigouroux, responsable environnement chez Phyteis. Dès lors, quel que soit le bioagresseur, le principe reste le même. « D’abord, on agit en amont pour avoir un réservoir le plus faible possible, ajoute-t-il. Ensuite, en cours de cycle, grâce à la multiplication des obstacles, le bioagresseur peine à effectuer son cycle biologique. Le niveau de population doit rester en dessous du seuil de nuisibilité afin de préserver les rendements. »

S’il fallait faire une comparaison sur le rôle attendu de l’approche combinatoire pour gérer la résistance des bioagresseurs, le sport hippique est un bon exemple. En revanche, l’objectif est tout autre puisqu’il s’agit de faire perdre le cheval ! « Finalement, cela revient à saboter le circuit en le semant d’embûches, résume Ronan Vigouroux. Pour corser l’ensemble, on ne positionnerait jamais deux fois le même obstacle afin que les chevaux n’apprennent pas à le franchir. »

Dans un tel parcours, cette fois-ci réservé aux bioagresseurs, la phytopharmacie serait la dernière barrière à franchir pour ceux restant en lice ! « Ainsi, cette stratégie permet de moins solliciter les produits et réduit les risques d’apparition des résistances, complète l’expert. Une combinaison de pratiques culturales répond à un tel objectif. »

Les pratiques culturales avant et pendant le cycle de culture

Pour limiter la résistance des bioagresseurs, les pratiques culturales ciblent deux objectifs. D’une part, il s’agit de supprimer au maximum les foyers d’infection en fin de cycle afin d’assurer une base saine pour la campagne suivante. D’autre part, de créer des conditions défavorables au développement des bioagresseurs pendant le cycle.

Diminuer l’inoculum des bioagresseurs

La gestion de la tavelure du pommier est un bon exemple qu’explique Franziska Zavagli, responsable pôle santé des plantes au CTIFL, lors du Tour de France des alternatives. L’événement  s’est déroulé 14 janvier 2025 au Sival à Angers. « L’une des pistes de recherche est de réduire au maximum l’inoculum de tavelure à l’automne, car les solutions alternatives aux fongicides pivots ont une efficacité moyenne », précise-t-elle.
Des techniques éliminent les feuilles et résidus où les champignons survivent dans le sol, comme l’apport d’urée ou le broyage. Elles comprennent également le double broyage et l’épandage de solutions pour assainir le sol.

Pour les cultures annuelles, la réponse se trouve en priorité au niveau de la rotation. « L’allongement et la diversification des espèces cultivées cassent le cycle des bioagresseurs », indique Ronan Vigouroux. Exemple, l’inoculum de cercosporiose de la betterave survit 3 ans. Il faut donc éviter de cultiver de la betterave sur la même parcelle durant cette période. Dans tous les cas, la connaissance du cycle biologique du bioagresseur est nécessaire pour intervenir sur les supports d’hivernation ou de conservation. Quant aux adventices, l’objectif est de réduire le stock de semences en tenant compte de leur durée de vie dans le sol.

 Empêcher la propagation des bioagresseurs avec des méthodes préventives

La résistance variétale est certainement la solution la plus prometteuse pour freiner la progression des bioagresseurs. Déjà, 60 % de la sole de blé est semé avec des variétés tolérantes à la septoriose. Cela signifie qu’en cas de contamination, la plante retarde l’infestation. Une autre option consiste à mélanger des variétés avec des résistances complémentaires. Il est également possible d’installer des bandes d’espèces différentes sur une parcelle, comme des bandes de blé et de colza.

Quant aux méthodes culturales, elles visent d’abord à éviter les contaminations primaires. Elles empêchent l’enchaînement des cycles de reproduction. Par exemple, l’effeuillage en vigne réduit l’humidité et limite la propagation du mildiou. Il diminue aussi les contacts favorables aux champignons.

De plus, la maîtrise de la fertilisation azotée et de la densité des semis permet de contenir la biomasse. Cette technique s’applique à toutes les cultures.

D’autres mesures agissent comme des barrières. Ainsi, les filets installés sur les rangs des vergers avant les vols de lépidoptères ou de mouches bloquent les infestations venant d’autres parcelles.

Dans le même esprit, les polymères naturels pulvérisés sur les arbres fruitiers s’entrelacent pour former une toile sur les feuilles. Cette barrière immobilise les ravageurs comme les pucerons, psylles, acariens, cochenilles et aleurodes.

Par ailleurs, la pulvérisation d’argile blanche sur les feuilles des pommes de terre ou des tomates modifie l’apparence des plantes. Cette poudre perturbe l’installation des insectes et empêche la ponte.

Enfin, en désherbage, le décalage de la date de semis du blé est efficace. Précédé d’un faux semis, il réduit fortement la levée des adventices en début de cycle cultural.

Installer des zones de refuges
  • Diluer la résistance des bioagresseurs

En ne traitant pas des bords de parcelles, cela permet aux individus non résistants aux produits phytopharmaceutiques de s’y reproduire. Ainsi, ils peuvent se croiser avec des nuisibles résistants ce qui ralentit l’installation de cette caractéristique dans la population.

  •  Renforcement du rôle des auxiliaires naturels

Les prédateurs, qu’ils soient chasseurs, parasitoïdes ou micro-organismes antagonistes sont des alliés naturels. Ils complètent les autres techniques et apportent une pression supplémentaire sur les nuisibles. L’objectif est alors de repenser l’aménagement paysager (haies, bandes enherbées ou fleuries, couverts végétaux…) pour les conserver dans la parcelle.

Alterner les modes d’action des produits phytopharmaceutiques

Malgré toutes ces méthodes, le niveau des bioagresseurs peut dépasser les seuils de risques, principalement pour des raisons climatiques.

L’emploi répété d’un même produit phytopharmaceutique au cours du cycle est le premier facteur de développement de la résistance des bioagresseurs. Lequel peut s’amplifier en cas de traitement à dose réduite. Ce phénomène s’observe particulièrement avec les produits au mode d’action unisite, c’est-à-dire n’inhibant qu’un site biomoléculaire du bioagresseur.

Puis, la résistance s’installe progressivement dans le temps, surtout si les mêmes produits reviennent sur la parcelle. « C’est un peu comme si on attaquait un adversaire toujours au même endroit et avec la même arme, compare Johanna Sigel, chef marché vigne chez De Sangosse. Donc, à force de répétitions, il trouve la parade ! Par conséquent, les programmes doivent s’élaborer en alternant les modes d’action.»

Les principes clés pour éviter la résistance des bioagresseurs
  • Diversification des modes d’action chimique

Alterner les produits phytosanitaires et les produits de bioprotection empêche l’adaptation des nuisibles. À cet effet, un même mode d’action ne doit pas être répété, ni au sein du cycle de culture, ni d’une année à l’autre.

  • Utilisation raisonnée des produits phytopharmaceutiques

Les produits phytopharmaceutiques sont à appliquer à leur dose homologuée et au bon moment. Les outils numériques de prédiction aident à les positionner avec précision pour obtenir la meilleure efficacité. De plus, des traitements préventifs en début de cycle permettent de contenir la pression initiale des bioagresseurs. Cela facilite l’application ultérieure sur une population affaiblie et limite le risque de résistance.

  • Combinaison des solutions à efficacité moyenne

Associer des produits d’efficacité moyenne renforce leur impact global. En se complétant, ils atteignent un niveau de protection suffisant pour freiner la progression des nuisibles.

  • Recourir aux produits avec un mode d’action multisite

Des produits de biocontrôles, utilisables en agriculture biologique ou appartenant à la phytopharmacie conventionnelle ciblent plusieurs mécanismes physiologiques des bioagresseurs. Par conséquent, leur mode d’action multisites sert de bouclier dans les programmes de traitement des cultures.