Tavelure du pommier
La tavelure est l’ennemi N°1 des pommiers. Outre la baisse de la production, le champignon abime les fruits et les rend inconsommables. Tout l’enjeu de la protection combinatoire est alors de limiter les contaminations primaires.
Maladie redoutable, la tavelure du pommier (Venturia inaequalis) émerge dès l’éclosion des bourgeons. Elle devient ensuite très vite explosive avec des pluies abondantes. Dès lors, cette maladie affecte considérablement la qualité de la récolte et le rendement.
Les symptômes
- Les taches brunes présentes sur la face supérieure des feuilles s’étendent le long des nervures. D’abord translucides, elles prennent ensuite une couleur brun-vert puis se nécrosent jusqu’à déformer et dessécher la feuille.
- Des taches noires sont également visibles sur les pétales et les sépales des fleurs.
- Des croûtes noires et rugueuses marquent la peau des pommes. Parfois, des crevasses déforment les fruits.
Remarque : un fruit indemne à la récolte peut développer de petites taches noires lors de la conservation. Ces symptômes proviennent d’une contamination tardive, moins de 3 semaines avant la récolte.
Le cycle biologique de la tavelure du pommier
Conservation
L’hiver, le champignon Venturia inaequalis se conserve sur les feuilles mortes sous une forme sexuée, le pseudothèce. Ce dernier résulte de la rencontre entre deux souches du champignon et contient les asques qui produisent les spores (ascospores).
Contaminations primaires
Début mars, les asques commencent à mûrir, au moment du débourrement des pommiers. La maturation dure entre 2 et 4 mois. Les spores sont ensuite projetées pendant la journée, lors des épisodes pluvieux.
Cependant, les périodes sèches ne stoppent pas la maladie ; au contraire, elles provoquent une accumulation de spores. Dès le retour de la pluie, les asques les expulsent massivement. Dans tous les cas, le vent disperse les spores dans le verger sur les feuilles en croissance.
Elles germent lorsque le feuillage reste humide assez longtemps et que la température se situe entre 7 °C et 25 °C. Plus la température augmente, plus le temps d’humectation nécessaire diminue : à 13 °C, les feuilles doivent rester humides pendant 13 heures ; à 18 °C, 8 heures suffisent.
Par ailleurs, les pics de projection d’ascospores les plus intenses interviennent généralement pendant la floraison. En contaminant les sépales, l’ovaire et le pédoncule, le champignon dessèche entièrement la fleur.
À cette période, la chute des pétales provoque des blessures qui constituent les portes d’entrée des spores. Si elles contaminent la fleur fécondée, celle-ci avorte.
Enfin, outre les taches sur la peau des jeunes fruits, les attaques précoces provoquent des crevasses lorsque le fruit grossit.
Contaminations secondaires
En été, les contaminations secondaires débutent avec la pluie. Les spores viennent des fructifications (conidiophores) qui se forment sous la cuticule des feuilles. Elles se propagent sur les autres parties de l’arbre par les éclaboussures (effet « splashing ») ou par le vent.
Ces cycles de contamination se répètent jusqu’à la récolte, avec une incubation qui dure de 1 à 3 semaines.
La nuisibilité de la tavelure de la pomme
En desséchant les feuilles, la tavelure entraîne une réduction de la photosynthèse. Avec l’avortement des fleurs contaminées, ces deux phénomènes provoquent de considérables pertes de production.
Par ailleurs, les fruits avec des taches et des déformations conduisent à des pertes de revenu. En effet, les pommes « tavelées » n’accèdent pas au marché du frais. Bien que consommables, leur apparence ne correspond pas aux critères de qualité des circuits de commercialisation.
Dans ce cas, les arboriculteurs orientent leur récolte vers le marché de la transformation, à des prix moins avantageux.
L’approche combinatoire contre la tavelure du pommier
En saison, les pratiques culturales et la phytopharmacie ciblent les contaminations secondaires, ou « repiquages ». Sinon, celles-ci pourraient « exploser » sur les fruits en été, lors de fortes pluies, et entraîner une perte totale de la récolte.
L’objectif est aussi de gérer la résistance des souches de Venturia inaequalis aux fongicides.
De nouveau, la protection des cultures repose sur une combinaison de solutions, notamment celles qui limitent l’inoculum dans le verger.
La tolérance variétale
Depuis 2018, les plantations de variétés de pommiers tolérantes à la tavelure s’accélèrent. Selon l’Association nationale pommes poires (ANPP), en 2023, elles représentent plus de 43 % des surfaces en renouvellement.
Parmi ces variétés : Juliet, Regal You, Story Innored, Dalinette, Opal ou Swing. Au début des années 2000, seule la pomme Ariane possédait ces caractéristiques génétiques. Toutefois, le levier variétal montre déjà ses limites avec l’apparition de contournement par des souches de tavelure.
Les pratiques culturales
La gestion des résidus au sol
L’objectif est de réduire le potentiel de formation des pseudothèces. Dès la fin de la chute des feuilles, un broyage très fin de ces résidus accélère leur décomposition. L’aspiration ou le ramassage mécanique des feuilles s’avèrent aussi très efficaces. Elles sont ensuite éliminées par broyage ou compostage.
La conduite du verger
Certaines pratiques réduisent l’humidité au niveau des feuilles.
- Tout d’abord, la taille les arbres améliore la pénétration du soleil et du vent.
- La maîtrise de la fertilisation azotée évite ensuite un feuillage excessif.
- Un compromis est à trouver pour la durée de couverture du verger avec les filets paragrêles. En effet, ils maintiennent l’humectation des arbres.
- Enfin, lors du renouvellement du verger, l’orientation des arbres doit favoriser une bonne circulation de l’air dans la canopée.
Agronomie digitale
Les outils d’aide à la décision RimPro et Fruitweb évaluent le risque tavelure. Ils prennent notamment en compte les données météo, la sensibilité des variétés et le niveau de l’inoculum.
Le niveau d’inoculum se mesure en prélevant 100 pousses sur la parcelle en fin de cycle. .Au-delà de 33 % de pousses tachées, le niveau d’inoculum est fort.
Pourcentage de pousses tavelées et niveau de l’inoculum
Phytopharmacie
Durant la période des contaminations primaires, la lutte est essentiellement préventive. Dans tous les cas, l’objectif est de positionner les fongicides selon le risque et les pics de projection de spores.
Positionnement des traitements
La surveillance de la tavelure débute dès le débourrement des arbres. Les observations à la parcelle, les prévisions météo, les alertes des OAD et celles des Bulletins de santé du végétal guident le positionnement des fongicides préventifs. Au minimum, ils s’appliquent jusqu’à la fin de la projection primaire des ascospores sur tous les organes au-delà de la floraison.
Quant à la lutte curative, si elle est possible, elle s’avère moins efficace. Cette « lutte en stop » intervient dans les heures qui suivent une pluie contaminatrice. En fin de contamination primaire et en l’absence de tache, la protection contre la tavelure peut s’arrêter.
Programmes fongicides et gestion de la résistance
Lors de l’élaboration des programmes fongicides, un paramètre clé entre en ligne de compte : la plasticité des souches de Venturia Ineaqualis. Généralement, l’alternance des modes d’action des produits limite le développement de résistance de la part d’un bioagresseur.
Cependant, avec la tavelure, cette stratégie ne suffit plus tant le champignon s’adapte vite. Désormais, les produits au mode d’action unisite s’emploient toujours avec l’un des trois fongicides multisites autorisés. Ils servent de bouclier et constituent les pivots des programmes de protection phytopharmaceutique.
Fongicides de contact au mode d’action « multisite » pour gérer les résistances
Peu ou pas pénétrants, ils se caractérisent par leur action préventive de longue durée (7 jours sur organes en place).
Familles chimiques et substances actives autorisées :
- Phtalimides avec le captane (préventif).
- Quinones avec le dithianon (préventif et effet stop en 32 h ).
- Et le cuivre (utilisable en agriculture biologique).
Fongicides systémiques unisites pour bloquer les contaminations primaires
Ces produits systémiques unisites diffusent par la sève et protègent les organes néoformés.
Familles chimiques et substances actives autorisées :
- Inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) avec le fluopyram et le fluxapyroxade, le penthiopyrade
- Anilinopyrimidines (ANP) avec le cyprodinil et le pyriméthanil
- Strobilurines, Qols, Qils, avec le krésoxim-méthyl et la trifloxystrobine.
- Triazoles (Inhibiteurs de la biosynthèse des stérols) avec le difénoconazole et le mefentrifluconazole.
- Guanidines avec la dodine (effet stop en 48 h).
Biosolutions
En agriculture biologique comme conventionnelle, la protection fongicide reste indispensable. Pour bloquer les sporulations primaires, outre le cuivre, la bouillie sulfocalcique présente une bonne efficacité. En curatif, elle peut remplacer des fongicides qui rencontrent des résistances.
Toutefois, cette substance relève du dispositif des dérogations. Dès lors, elle s’emploie plutôt à la floraison et en préventif avec du soufre. On peut aussi associer le soufre avec du bicarbonate de potassium.
Enfin, des algues et des extraits minéraux renforcent les défenses naturelles des pommiers.
Choix du matériel de pulvérisation
Quel que soit le mode de protection choisi, biologique ou non, une pulvérisation de qualité contribue à l’efficacité du traitement et à la limitation de la dérive. Ainsi, elle doit être homogène et viser les organes végétaux en évitant toute perte dans l’environnement.
Les trois critères pour obtenir une pulvérisation de qualité :
- Choix du pulvérisateur, du type de flux radial ou tangentiel.
- Calcul de la pression de fonctionnement.
- Utilisation des buses correspondant au traitement et réduisant la dérive d’au moins 66 % (liste officielle de la DGAL).
Ainsi, le type de matériel conditionne très fortement le volume de bouillie optimal à appliquer.
Impact de la protection combinatoire contre la tavelure
La tavelure est une maladie redoutable car explosive. Pour lutter contre elle, la prophylaxie est la base de toute stratégie sanitaire. Ces mesures visent systématiquement la baisse de l’inoculum.
L’approche combinatoire s’appuie sur l’utilisation d’outils numériques pour évaluer le risque de contamination et optimiser le déploiement des solutions. Par exemple, lors d’une année de faible pression, comme en 2015, l’OAD RIMPro permet d’économiser jusqu’à quatre traitements, d’après des essais de l’ANPP.
Ces outils facilitent également le positionnement des produits de biocontrôle. Ceux-ci sont constamment mobilisables et peuvent constituer la base du traitement lorsque le risque de tavelure est faible à moyen. Cette stratégie réduit l’Indicateur de fréquence de traitement (IFT) et contribue à la gestion des résistances.
En effet, la protection phytopharmaceutique se heurte à la grande plasticité des souches de V. inaequalis. Prévenir la résistance constitue donc un objectif essentiel contre ce champignon qui s’adapte rapidement aux modes d’action chimiques.
Aussi, les fongicides multisites jouent un rôle de bouclier dans les programmes de traitement qui se combinent aux substances unisites. L’approche par risque permet un pilotage optimal de la protection chimique.
Enfin, lors de chaque renouvellement de vergers, les arboriculteurs plantent des variétés tolérantes pour réduire traitements chimiques.
La protection combinatoire contre la tavelure du pommier en 2030
Pratiques culturales
Une piste consiste à éliminer le pouvoir contaminant de Venturia inaequalis. Le programme de l’Inrae, « Enfin ! », vise à croiser des souches de tavelure pour obtenir une souche non infectieuse. Si cette technique atteignait le stade industriel, ce serait une révolution, car elle permettrait d’éviter l’usage intensif de fongicides au printemps.
Son principe est simple : lors de la reproduction de la tavelure en automne, des souches de tavelure issues du pyracantha, une plante ornementale, sont épandues sur les pommiers et le sol. Par croisement avec les souches déjà présentes, cela crée une tavelure non pathogène.
Biosolutions
Des solutions de biocontrôle issues d’extraits animaux ou végétaux sont à l’étude.
Agronomie digitale
Le suivi de la pression tavelure s’effectue avec des outils d’aide à la décision de plus en plus précis.
Génétique
La création de variétés de pommiers avec plusieurs gènes de résistances pourrait limiter les risques de contournement de la part du champignon.