Insectes ravageurs, quelles solutions pour sortir des impasses techniques ?
La lutte génétique contre les ravageurs s’active enfin, mais les impasses techniques se multiplient en France, alerte André Fougeroux, président de Végéphyl. Focus sur les défis et l’avenir de la protection des cultures face aux insectes ravageurs.
Quelles sont les tendances qui se dégagent à l’issue de la 13e Conférence internationale sur les ravageurs et auxiliaires en agriculture ?
Très clairement, les situations d’impasses techniques pour contrôler les insectes ravageurs sont de plus en plus importantes. Nous n’arrivons plus à résoudre les problèmes que réglaient auparavant les solutions chimiques conventionnelles. Soit la solution chimique ne fonctionne plus en raison des résistances de la part des bioagresseurs ou soit elle n’existe plus !
Personnellement, je suis très inquiet pour les producteurs français s’ils doivent faire face à d’importantes attaques d’insectes. Contrairement aux autres agriculteurs européens, ils n’ont plus accès aux molécules qui aujourd’hui conservent de l’efficacité, je pense au sulfoxaflor, au flupyradifurone et à l’acétamipride.
Quels cultures et bioagresseurs vous semblent les plus affectées ?
Le colza figure toujours dans le haut de la liste des cultures avec impasses techniques. Depuis le retrait du phosmet en 2021, les agriculteurs sont démunis face aux coléoptères du colza. Ils peinent notamment à lutter contre les altises et le charançon du bourgeon terminal.
Également, les situations difficiles se multiplient face aux attaques de pucerons sur de nombreuses cultures. Par exemple, sur les betteraves, bien que des traitements insecticides foliaires (dont certains par dérogation) soient disponibles, ils peuvent s’avérer insuffisants en cas de forte pression. D’autres impasses concernent les pucerons sur la pomme de terre, les pommiers et beaucoup de cultures qualifiées de mineures. Autre ravageur problématique des vergers : le carpocapse du pommier, contre lequel il ne reste que peu de solutions, et on connait l’aptitude de ce ravageur à développer des populations résistantes.
De même, dans les cultures légumières, les situations sans produits phytopharmaceutiques autorisés se multiplient constamment. Enfin, la liste de défis s’allonge avec des ravageurs émergents comme la mouche des fruits Drosophila suzukii, la punaise diabolique, le balanin des noisetiers, le scarabée japonais ou encore la légionnaire d’automne qui a pris pied sur le continent européen.
Est-ce que cela signifie que le pipeline des solutions chimiques est à l’arrêt ?
Absolument pas au niveau mondial ! La recherche et la mise en marché de nouveaux produits se poursuivent avec des molécules dont le profil écotoxicologique est plus compatible avec les demandes sociétales et environnementales. Des sociétés confirment même sortir une à deux innovations par an !
Cependant, en Europe, cela ne débouche pas, et des innovations en phytopharmacie, je n’en vois pas non plus en France. D’ailleurs, en insecticide, les entreprises ne déposent plus aucun dossier. Nous pensons même qu’homologuer un nouvel insecticide chimique n’est plus possible. Pour cette raison, des productions se retrouvent sans solutions satisfaisantes pour lutter contre les ravageurs.
Alors, il devient primordial de conserver les quelques substances actives encore sur le marché et d’évaluer leur intérêt sur les nouveaux ravageurs. Étonnamment, lors de la conférence, une communication révélait des effets de la tébufenozide, contre la punaise diabolique. Un produit à base de cette molécule possède déjà une AMM en verger contre les chenilles phytophages.
Quelles solutions alternatives vous semblent-elles prometteuses ?
D’abord, l’invention change d’échelle : elle ne repose plus sur une solution unique, mais sur la combinaison de multiples approches. Parmi celles-ci, le biocontrôle, essentiellement préventif, offre une efficacité encore modérée contre les insectes.
Une voie prometteuse se dessine avec les médiateurs chimiques. L’objectif ? Perturber la perception des odeurs des plantes par les insectes. Ainsi, on peut les attirer vers un piège, une autre plante, ou les repousser hors des cultures.
Si cette technique n’est pas encore prête pour un usage pratique, son développement progresse rapidement. Les premiers résultats, quant à eux, s’annoncent très encourageants.
Et les lâchers d’auxiliaires ?
Je reste très dubitatif sur l’impact de ces lâchers en plein champ car on ne maîtrise vraiment pas les populations. D’où l’orientation vers une lutte biologique par conservation du pool d’auxiliaires naturellement présents. On peut planter des végétaux (plantes de service) qui apportent gite et couvert aux auxiliaires prédateurs ou parasitoïdes, assurant ainsi leur présence dans la parcelle toute l’année.
D’autres innovations peuvent-elles renforcer la boîte à outils pour contrôler les insectes ?
Les travaux sur la sensibilité variétale occupent désormais une place plus importante. Autrefois marginal, ce thème était éclipsé par la recherche sur la résistance ou la tolérance aux maladies. C’est d’ailleurs par hasard que les généticiens ont découvert le gène de tolérance à la cécidomyie orange sur blé, une petite mouche qui s’attaque aux céréales.
Aujourd’hui, les résultats progressent. En effet, certaines variétés de colza tolèrent mieux les attaques d’altises. Depuis 2023, ce critère fait partie des notations des essais pluriannuels de Terres Inovia. Cela marque un vrai tournant. D’autres travaux explorent la tolérance des colzas aux méligèthes. Notamment, ils étudient l’impact de la qualité du pollen sur la reproduction de ces insectes qui s’en nourrissent.
Du côté des betteraves, des variétés se révèlent plus robustes face aux pucerons. Grâce à ces travaux, l’objectif n’est pas toujours d’atteindre une résistance totale, mais des niveaux de tolérance, de sauvegarder une part du rendement.
Organisée par Végéphyl, la Conférence internationale sur les ravageurs et auxiliaires en agriculture se tient à Montpellier tous les quatre ans. C’est un rendez-vous incontournable des acteurs de la protection des cultures. « La 13e édition accueillait plus de 276 participants, prescripteurs comme chercheurs des secteurs publics et privés, autant qu’en 2014 et plus qu’en 2021 ! », souligne André Fougeroux, président de Végéphyl.
Ces taux de participation confirment que les attentes sont fortes sur les innovations en protection des cultures pour sortir des impasses techniques.
André Fougeroux, président de Végéphyl : « Avec les variétés tolérantes aux attaques des insectes et les odeurs qui perturbent le comportement des ravageurs, on élabore une nouvelle approche. Ainsi, on essaye de faire en sorte que les dégâts soient les plus faible possibles. »